Alternative 4.2 partie 4
Kurojū, cinquième mois de l’an 2445
Yama l'attendait avec impatience devant ses quartiers, ce qui amusa Mitsuhide. Cependant en songeant à l'ampleur de sa tâche, son sourire retomba. Il rejoignit son ami.
« Alors ? demanda aussitôt le Vite. Que voulait-il ? Je n'ai pas arrêté de tousser pendant une heure ! »
Mitsuhide plissa le front avant de comprendre :
« Tu veux dire, éternuer ? Quand quelqu'un ailleurs parle de nous, on éternue, on ne tousse pas.
– Peu importe, raconte-moi tout ! »
Malgré sa grande maîtrise de la langue, Yama avait encore du mal avec les expressions imagées. Il s'y risquait néanmoins de temps en temps avec des résultats pas toujours évidents. Entre cela et son ignorance de nombreuses coutumes de base, on ne pouvait pas le confondre avec un humain !
« Asseyons-nous, fit Mitsuhide en lui prenant le bras, et prenons le thé. Nous avons à discuter. »
Yama se renfrogna, devinant que cela n'allait pas lui plaire. Les deux hommes s'installèrent dans les quartiers du Vite et un servant apporta le thé. Mitsuhide tâcha de déterminer par où commencer. Quoi qu'il fasse, la conversation serait difficile alors il ne réfléchit pas bien longtemps.
« Le général Kenryū te supplie d'accepter la demande de son fils.
– Pas question ! répondit aussitôt Yama.
– Écoute, je sais que cela va à l'encontre de tes convictions, mais…
– Ce n'est pas que ça, le coupa Yama, comme toujours quand il était énervé. Dans ma culture, les relations entre hommes sont contre-nature, première objection. Kikuchi a l'âge d'être mon fils, ce n'est encore qu'un enfant, seconde objection.
– Kikuchi a ton âge, » argua Mitsuhide.
Cela lui valut un regard un peu agacé de la part de son ami.
« Relativement parlant, répliqua ce dernier. Et troisième objection : en tant que prêtre, j'ai fait trois vœux sacrés dont celui de chasteté. Je ne le romprai pas.
– Je croyais que tu n'étais plus prêtre, s'étonna Mitsuhide.
– Il n'y a rien d'officiel, en fait. Lucius voulait me chasser de l'Église, mais il est mort avec le reste de mes frères Templiers lors de l'Invasion. Le père Arthaud m'a donné une fonction de prêtre à Misato et son successeur, le père Joran, ne m'a rien dit à ce sujet, donc je suis encore prêtre. Et dans tous les cas, je tiens à respecter mes vœux sacrés. »
Au fur et à mesure du temps, Yama avait raconté une bonne partie de sa vie à Mitsuhide, ce qui faisait qu'il pouvait lui parler assez librement de son passé. Bien entendu, il n'avait pas dit un mot sur les vampires ou les Diables et leur histoire absurde.
Mitsuhide prit une gorgée de thé.
« Accepter la demande du Firal Kikuchi ne rompra en rien tes vœux, argua-t'il.
– Tu ne m'as vraiment pas écouté, soupira Yama en lui jetant un regard éloquent.
– Bien sûr que si, mais… »
Il se tut soudain, frappé par une idée.
« Yama, dis-moi, comment crois-tu que se passe une cour ?
– Hé bien, c'est s'embrasser et coucher ensemble. »
Le seigneur de Madare leva les yeux aux ciel. Yama ne se focalisait que sur le côté physique d'une relation, ce qui n'était guère surprenant. Par contre, il ne faisait pas la distinction entre les différents genres de cour. Il était donc temps que Mitsuhide ait LA conversation avec lui. Au moins, cela lui permettrait de s'entraîner pour le jour où Tetsuō serait en âge — sauf que ce serait nettement plus facile avec son fils.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
« Yama, Kikuchi est mineur, donc tu peux retirer la partie 'coucher ensemble'.
– Tu es sûr ? douta néanmoins son ami.
– C'est interdit avant la majorité, assura Mitsuhide. Ensuite, cela va être la première cour du Firal, donc… il n'est pas forcément amoureux de toi, tu vois. C'est juste de l'admiration. »
Là, Yama fut franchement sceptique.
« Alors pourquoi il m'a fait une demande de cour ?
– À cet âge, un jeune homme a du mal à voir la différence entre l'amitié, l'amour, le désir et l'admiration. Les cours lui permettent justement d'explorer ses sentiments et d'apprendre au fur et à mesure la distinction. Les premières cours sont souvent motivées non pas par l'amour, mais par la curiosité et un certain intérêt pour l'autre personne.
– Tu dis que toutes ces histoires de cours, c'est juste pour l'éducation de vos jeunes ? Il n'y aurait pas d'autres façons de faire, franchement ? »
Plutôt que de répondre à ça, Mitsuhide préféra demander :
« Comment font les Vites ?
– On ne fait pas, répliqua aussitôt Yama. Les sentiments… c'est bon pour les femmes et les poètes ! »
Yama en était un exemple flagrant. Mitsuhide secoua la tête en soupirant. Un homme ne pouvait vivre en harmonie que si ses trois énergies — le corps, l'âme et le cœur — étaient bien alignées. En niant le cœur, les Vites ne seraient jamais complets.
« Dans tous les cas, il s'agit ici des sentiments de Kikuchi, reprit-il. Accepte sa cour, laisse-le exprimer ses sentiments et tu verras que ça ne changera pas grand-chose dans votre relation. »
Yama s'obstina :
« Je ne peux pas accepter une cour avec Kikuchi alors que je n'éprouve pas d'amour pour lui ! Ce serait lui mentir !
– Tu l'apprécies, pas vrai ?
– Oui, mais ce n'est pas…
– Personne ne te demande de lui mentir. Le Firal Kikuchi doit aussi apprendre que les sentiments ne sont pas toujours partagés. »
Le regard gris se durcit soudain.
« Par contre, tu dois absolument y aller en douceur avec lui ! Tu ne te rends pas compte à quel point un jeune homme est fragile, surtout quand il propose une cour.
– Ah, si on craint d'être blessé, alors autant ne rien proposer !
– Yama… décidément, tu n'as jamais été amoureux, toi. Mais tu as bien dû voir des gens prêts à tout pour gagner le cœur de l'autre, non ? »
En tant que prêtre, Yama avait eu son lot de confessions et il était vrai que les jeunes gens amoureux étaient les pires, hommes comme femmes. Entre se battre avec son rival, répandre des mensonges sur sa rivale, faire croire qu'on était enceinte ou bien l'être pour de vrai afin de forcer le mariage et ainsi de suite, les gens avait beaucoup d'imagination et d'ingéniosité pour obtenir la personne désirée. Yama n'avait jamais compris en quoi cela pouvait être un accomplissement. Bien sûr, la Bible disait que de s'unir et de se multiplier, mais tout de même… Lui-même n'avait jamais été troublé par le moindre sentiment amoureux.
L'image de Lucius lui apparut soudain et pas pour la première fois, il se demanda quels avaient les sentiments de l'Archange blond à son égard. Maintenant qu'il était moins innocent, il comprenait les manœuvres plus ou moins subtiles de son frère pour avoir des rapports avec lui. Et ne parlons même pas des nombreux baisers que ne se faisaient qu'entre 'bons amis'. Yama se rendait compte à quel point il avait été crédule. Cependant, il n'en voulait pas à Lucius, il aurait simplement voulu comprendre. Cela n'était plus possible, hélas, puisque l'autre homme était mort. De son côté, en voyant le Vite plongé dans ses pensées, Mitsuhide espérait l'avoir convaincu. Kikuchi méritait une première cour digne de ce nom, et pas ce refus cinglant qui le hanterait jusqu'à la fin de ses jours. Mitsuhide compatissait avec le jeune homme car il se souvenait de lui au même âge et dans des tourments moindres.
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« Mitsuhide, reprit Yama après un long moment, pourquoi tu me parles d'amour alors que tu as dit que cette cour n'avait rien à voir avec ?
– Kikuchi ne voit pas encore la différence, alors il va agir avec son cœur.
– Raison de plus pour que je refuse. Il sera forcément déçu à la fin.
– C'est une leçon qu'il retiendra, alors, » fit Mitsuhide d'un ton philosophique.
Voyant que les choses n'étaient pas gagnées, il insista :
« Yama, en vérité, le fait est qu'une première demande de cour est presque sacrée. Sans bonne raison, on ne peut pas la refuser.
– C'est une loi ?
– Disons plutôt une règle tacite de notre société. »
Yama comprit alors quelque chose :
« Oh, c'est pour ça que Kenryū a parlé de compensation.
– Oui, il existe même au palais le Tribunal des Réparations dont le rôle est d'arbitrer les querelles amoureuses. »
Cela lui valut un regard incrédule.
« Tu plaisantes ?! Vous n'avez que ça à faire, franchement ?!
– C'est seulement pour les cas extrêmes, nuança Mitsuhide. En réalité, le Tribunal des Réparations n'est saisi que très rarement, mais c'est pour te dire l'importance accordée aux relations. »
Cela dépassait de loin l'entendement du Vite.
« Bon, passons. Disons que j'accepte cette cour, à quoi dois-je m'attendre précisément ? »
Mitsuhide retint un sourire de triomphe : Yama commençait à considérer la question, c'était très bon signe ! Si cela n'avait pas été le cas, il aurait continué à refuser et rejeter tous les arguments présentés.
« Comme je te l'ai dit, cela ne changera presque rien dans votre relation : Kikuchi continuera de te suivre partout, de se montrer serviable, souriant…
– Dis-moi plutôt ce qui changera !
– Oh, une première cour ne va pas très loin en général. Il va surtout te parler de ses sentiments, t'envoyer des poèmes et autres présents. Mmm, vous irez certainement jusqu'à vous tenir la main et si vraiment, vraiment il est très entreprenant, il y aura un baiser tout au plus.
– Les sentiments, se tenir la main et s'embrasser, résuma Yama d'un ton sérieux. Tu es sûr que ça n'ira pas plus loin ?
– Oui, crois-moi. »
Anxieux, Mitsuhide attendit le verdict de son ami. Il avait tout son possible, c'était maintenant à Yama de se décider. Le Vite finit par pousser un lourd soupir.
« Je sens que je vais le regretter, mais d'accord. »
Son ami n'en crut pas ses oreilles.
« D'ac… d'accord pour la cour ? Tu es sûr ?
– Oui. »
Un sourire de soulagement illumina le visage de l'autre homme. Il saisit le bras de Yama.
« Formidable ! Je vais faire prévenir le général Kenryū au plus vite !
– Quelle est l'urgence ? s'enquit Yama.
– Hé bien, dans tous les cas, cette cour cessera à notre départ. Cela ne laisse pas beaucoup de temps.
– Ah bon ? Tu aurais pu me le dire plus tôt, je n'aurais pas autant hésité.
– Oh. »
Effectivement, Mitsuhide n'avait pas du tout pensé à inclure ce point dans ses arguments.
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Il en profita pour informer Yama de l'autre condition qu'il avait imposée : la discrétion.
« Tu as bien fait, approuva son ami. Je préfère éviter d'avoir à en parler avec Yatsu.
– Mmm, tu ne crois pas qu'il va s'en rendre compte tout seul ? Après tout, il a tout de suite été très attentif au Firal Kikuchi.
– Attentif ? Tu ne veux pas dire que Yatsu serait… intéressé par Kikuchi ?! »
Après tout ce que Yama venait d'entendre sur les sentiments et la sensibilité des jeunes hommes, il ne savait plus du tout sa droite de sa gauche.
« Non ! le rassura son ami en riant. En fait, Yatsu a senti dès le début les intentions de Kikuchi à ton égard.
– Depuis le début ? répéta Yama avec sidération.
– Pourquoi tu crois qu'il n'a jamais apprécié Kikuchi alors qu'en général, il aime bien tout le monde ? »
Yama en resta vraiment interloqué. Son fils, qui n'était encore qu'un enfant, s'y connaissait plus en sentiments que lui ?
« Yatsu est bien un Autre, » songea-t'il avec un soupir.
En fin de journée, Yama et Kikuchi se retrouvèrent dans la cour du quartiers des invités. Personne ne s'y aventurait, donc c'était l'endroit idéal pour ceux qui recherchaient de la discrétion. Yama observa le Firal qui gardait le silence, tête baissée, et il vit qu'il était très démoralisé. De plus, ses yeux étaient encore rouges, bien qu'il se soit passé de l'eau froide sur le visage. Comme l'avait dit Mitsuhide, Kikuchi avait été visiblement très affecté par son refus.
« Il m'a pourtant dit qu'il comprenait ! songea Yama. Enfin bref… »
Il s'était engagé à accepter cette cour, alors il ne reviendrait pas sur sa parole. Il s'éclaircit la gorge et se lança dans un discours qui avait été totalement approuvé par Mitsuhide plus tôt.
« Kikuchi, je me suis rendu compte que ma réponse de ce matin n'était pas très appropriée et je te prie de bien vouloir me pardonner. »
Le jeune homme lui lança un bref regard avant de baisser de nouveau la tête.
« Je ne vous en veux pas, général Yama, » fit-il à voix basse.
Il parut sur le point de dire autre chose, mais se mordit les lèvres.
Perplexe, Yama poursuivit néanmoins :
« Cela m'a poussé à réfléchir de nouveau à ta demande et je l'accepte. Cependant, la cour ne pourra durer que le temps de ma présence à Kurojū. »
Seul le silence lui répondit. Clairement confus, Yama ne savait plus quoi dire. Normalement, Kikuchi aurait dû accepter et ils auraient enchaîné sur le cadeau. Du coup, Yama était perdu. Kikuchi inspira brusquement et leva les yeux pour lui faire face. Son regard émeraude exprimait à la fois de la souffrance et une pointe de suspicion.
« Vous n'allez pas changer encore d'avis ? demanda-t'il. Vous n'allez pas… accepter aujourd'hui pour refuser demain ? »
Sa voix se mit à trembler sur ces derniers mots et ses yeux se remplirent de larmes. Ce ne fut qu'à cet instant que Yama se rendit pleinement compte de la peine qu'il lui avait infligée. Lorsque Mitsuhide lui avait parlé de la sensibilité des jeunes hommes, Yama avait eu en tête l'image de jeunes filles naïves et sentimentales, une pensée clairement moqueuse. Mais en voyant Kikuchi, un garçon qu'il connaissait et appréciait, arborer une expression blessée par sa faute, il n'eut aucune envie de se moquer.
Yama leva une main et ressuya les larmes avec son pouce. Kikuchi en resta figé.
« Je ne changerai plus d'avis, » assura le Vite.
Kikuchi prit la main de l'autre homme et la pressa contre sa joue. Il lui faisait entièrement confiance et était prêt à tout lui donner.
« Je vous crois, » répondit-il en plongeant son regard dans le sien.
Ses yeux étaient clairs et reflétaient son cœur. Yama fut surpris par la confiance inconditionnelle du jeune homme envers lui. Décidément, on avait bien raison de dire que l'amour était la plus puissante des armes. Yama se jura en cet instant de ne plus faire de mal à Kikuchi. Le Firal lâcha sa main pour lui tendre la même boîte en bois laqué que le matin. Mitsuhide avait appris à Yama sa signification et ce qu'il devait faire. Cette fois, non seulement il prit la boîte, mais il l'ouvrit et découvrit la boucle de ceinture argentée à l'intérieur.
« Je… je sais que vous n'aimez pas les ornements trop voyants, expliqua Kikuchi comme il avait voulu le faire le matin, alors j'ai choisi une boucle de ceinture parce que c'est discret.
– Tu as bien fait, » approuva Yama.
Pour la première fois de la discussion, Kikuchi eut un léger sourire.
Yama défit la ceinture qui refermait sa tunique extérieure et y accrocha la boucle avant de renouer la ceinture. Le visage de Kikuchi se figea en le voyant, comme s'il voulait y croire mais craignait un rêve cruel. Comme le voulait la coutume, Yama se pencha ensuite sur le Firal pour l'embrasser sur la joue, marquant ainsi le début de leur cour. Face à ce premier contact intime, Kikuchi sentit ses jambes faiblir. Une joie débordante l'envahit, menaçant de faire exploser son cœur.
« Il a accepté ! songea-t'il. Ce n'est pas un rêve, Yama a bel et bien accepté ma cour ! »
Alors seulement il lui adressa un sourire rayonnant.
« Et maintenant, se dit-il, j'ai deux semaines et demi pour le faire mien ! »
C'était le moment ou jamais de déployer tous ses talents de stratège.
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Les trois premiers jours, comme l'avait dit Mitsuhide, Kikuchi se comporta comme d'habitude. Ils se virent aux moments convenus et le jeune homme ne chercha pas à passer toute la journée avec Yama, comme ce dernier l'avait craint.
« Cela valait bien la peine de faire toute une histoire pour si peu, » songea le Vite.
Il y avait quelques légers changements néanmoins, quoique presque imperceptibles : le grand sourire du Firal à chaque fois que son regard tombait sur la boucle de ceinture de Yama, une intonation particulière sur son nom, la distance entre eux qui se réduisait peu à peu, le contact hésitant sur son bras ou sa main par moments…
Rien qu'aujourd'hui, Kikuchi lui avait plusieurs fois effleuré la main sans oser la prendre. Après une matinée de ce petit jeu, Yama finit par perdre patience et alors qu'ils revenaient du terrain d'entraînement, il prit fermement la main de Kikuchi comme s'il promenait son fils.
« Général Yama ? s'étonna le jeune homme.
– Si tu veux me tenir la main, fais-le, fit Yama d'un ton agacé, regardant droit devant lui. Ne tourne pas autour du pot ! »
La surprise sur le visage de Kikuchi fut remplacée par un sourire rougissant.
« Entendu, » acquiesça-t'il, le regard fixé sur leurs mains jointes.
La paume de Yama était bien plus grande que la sienne et il pouvait sentir des cals causés par le maniement du sabre. Contrairement aux Autres, Yama n'utilisait pas de crème pour la peau. Cela faisait partie de son charme naturel.
Mitsuhide éclata de rire lorsque son ami lui relata la scène plus tard, lors du thé. Les enfants étaient repartis pour les leçons, ce qui leur permettait de parler de ce sujet secret.
« Pauvre Kikuchi, fit le seigneur avec compassion.
– Pourquoi ? J'ai mal fait ? » demanda Yama d'un ton soucieux.
Mitsuhide le fixa en se demandant s'il devait aborder ou non le sujet du badinage, activité préférée des jeunes hommes durant leurs cours. Mais Yama avait un esprit bien trop direct pour ça. Kikuchi comprendrait bien assez tôt comment réfléchissait le Vite et il saurait s'adapter en conséquence.
« Au fait, il m'a envoyé ça tout à l'heure, » fit Yama en tendant un rouleau à son ami.
Mitsuhide l'ouvrit tout en ayant l'impression de s'immiscer dans une affaire qui ne le concernait pas. Normalement, une cour restait pudique, sauf que Yama avait besoin de l'avis et des conseils de son ami pour ne pas faire n'importe quoi. En plus, Mitsuhide voulait se tenir au courant de l'avancée de leur cour pour ses propres raisons.
« C'est un poème, fit-il après l'avoir lu. Ah, le Firal Kikuchi oublie que tu ne sais pas lire. »
Yama avait toujours refusé d'apprendre et se faisait aider d'un scribe pour ses fonctions et de Yatsu pour le domaine privé. Cette fois, seul Mitsuhide pouvait lui servir de lecteur.
« “Le temps se fige quand je ne suis pas près de toi et récupère son retard quand nous sommes tous les deux”. Hum, ce garçon a du talent, » apprécia-t'il.
Son ami ne dit rien car pour lui, la poésie des Autres était obscure. À part la musique, il n'avait aucun attrait pour les arts.
« Le premier poème de votre cour, reprit Mitsuhide en repliant le rouleau pour le tendre au Vite. C'est rapide, mais cela se justifie par la brièveté de votre cour. Voilà justement pourquoi le Firal parle du temps. C'est un poème à deux lectures.
– Si je ne comprends déjà pas la première lecture, soupira Yama, ne me parle pas de la deuxième.
– Mmm. Tu sais que l'usage veut que tu lui répondes par un poème toi aussi ? »
Le regard consterné de son ami le fit rire. Là, ce n'était pas juste un problème de savoir écrire ou pas, Yama était tout bonnement incapable de composer un poème.
« Sinon, tu peux reprendre un poème d'un illustre écrivain, le rassura Mitsuhide.
– Je ne connais aucun poème, décréta Yama. Choisis-en un pour moi, tu veux ?
– Moi ? »
Ce fut au tour de Mitsuhide d'être consterné. Yama ne suggérait quand même pas qu'il réponde à sa place ?
« Tu as tellement insisté pour que j'accepte cette cour, argua Yama. Aide-moi à en respecter les coutumes !
– Hum, toussota Mitsuhide pour masquer sa gêne, je suis sûr que si tu expliques ta situation au Firal, il comprendra que tu ne puisses pas répondre à ses poèmes. »
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Effectivement, lorsque Yama aborda le sujet avec Kikuchi, ce dernier eut un sourire.
« Ne vous en faites pas, général Yama, je comprends. Et si… vous me jouiez plutôt de la flûte en réponse ? »
Voilà qui convenait bien mieux à Yama !
Bien que Yatsu vivait dans un pavillon différent, Yama tenait néanmoins à le voir aussi souvent que possible — sans avoir à entrer dans les appartements du Second Prince ! Ils conservèrent donc la tradition du thé en famille avec un nouvel élément : Chiharu. En effet, la famille impériale ne se retrouvait qu'au petit-déjeuner. Il arrivait parfois que Chiharu prenne le thé avec sa mère, mais il atteignait un âge où il préférait la compagnie d'autres jeunes hommes. Son père n'avait pas toujours du temps à lui consacrer, alors Chiharu restait le plus souvent avec son groupe d'amis. Mais puisqu'il s'entendait à merveille avec Tetsuō et Yatsu, il fut rapidement invité régulièrement pour le thé. En plus, cela leur permettait d'avoir accès au pavillon de jasmin, réservé à la famille impériale et à l'écart dans les jardins. Tout le monde appréciait cet endroit tranquille au milieu des jardins splendides.
Ce jour-là, Yama se retrouvait le seul adulte au milieu de trois adolescents car Mitsuhide avait encore été invité par un noble. Chiharu se sentit obligé de jouer les hôtes avec lui.
« Général Yama, vous vous plaisez à Kurojū ?
– C'est bien trop grand et trop agité à mon goût, répondit le Vite sans détour. Je ne serai pas mécontent de rentrer.
– Ah… Désolé que l'endroit ne vous convienne pas, fit le Premier Prince d'un ton un peu démuni. S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour rendre votre séjour plus agréable…
– Bah, il n'y a pas grand-chose à faire. »
Yatsu prit son ami en pitié et intervint :
« Ne t'en fais pas, Chiharu, mon père est toujours comme ça.
– Qu'est-ce que j'ai encore fait de mal ? soupira le concerné. Je n'ai fait que dire ce que je pense.
– Ce n'est pas poli de critiquer la demeure de son hôte, expliqua Yatsu en répétant ce que ses précepteurs lui avaient appris.
– Je n'ai pas critiqué, j'ai juste dit que je ne m'y plais pas. »
Yatsu secoua la tête en soupirant. Chiharu se retint de sourire : à les voir, on pouvait se demander qui était le parent et qui était l'enfant.
« Oncle Yama a son franc-parler, intervint Tetsuō. C'est souvent déroutant, mais nous l'aimons quand même. »
Cela détendit l'atmosphère. Chiharu observa les trois personnes et une bouffée de mélancolie l'assaillit. Il soupira tristement, ce qui lui valut l'attention des deux autres adolescents.
« Chiharu, tout va bien ? s'enquit Tetsuō.
– Oui, c'est juste que… en vous voyant, il est clair que vous formez une vraie famille. C'est un sentiment que j'aimerais bien connaître.
– Mais tu as ton père et ta mère, fit Yatsu avec perplexité. Ils sont ta famille.
– C'est vrai, mais… il manque deux personnes : mon oncle et mon petit frère. Cela ne s'était jamais produit dans la famille impériale, alors je ne peux m'empêcher de me croire maudit. »
Yama ne dit rien, mais son regard s'assombrit un peu. Lui aussi avait eu tendance à se croire maudit, alors il comprenait les tourments de l'adolescent.
« Si tu veux, suggéra Yatsu de bon cœur, on peut faire comme si j'étais ton petit frère et mon père serait ton oncle !
– Yatsu ! » s'écria Yama d'un ton de réprimande.
Il manquait peut-être parfois de tact dans les relations sociales mais là, même lui comprenait que c'était déplacé !
« Excusez-le, votre Altesse, fit-il à Chiharu. Il ne pensait pas à mal.
– Non, je… je sais que Yatsu n'a que de bonnes intentions, » le rassura Chiharu.
Il tapota la tête châtain du garçon et lui adressa un sourire mitigé.
« Tu serais un adorable petit frère, mais ce ne serait pas pareil. Mon seul et unique petit frère est mort sans même que je ne le connaisse. C'est une peine avec laquelle je dois apprendre à vivre. »
Même s'il disait cela, ses yeux azur étaient embués de larmes. Yama sentit la culpabilité l'envahir. Si les Diables disaient vrai, alors c'était de sa faute si Chiharu était privé de petit frère. Il avait en plus enlevé au garçon sa famille maternelle durant la Croisade. Décidément, on pouvait croire qu'il s'acharnait sur lui !
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« Ton père a aussi perdu son frère jeune, nota Tetsuō.
– Ce n'est pas pareil ! s'écria Chiharu. Mon oncle est décédé à cinquante-trois ans ! Mon père a eu la chance de grandir avec son frère, lui ! »
Tout en sachant que ce n'était pas mérité, Chiharu ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à son père.
« Dans le fond, c'est de sa faute, marmonna-t'il, tête baissée. S'il était resté fidèle à ma mère, j'aurais eu un vrai petit frère toujours en vie… »
Yama acquiesça involontairement. Il était vrai que beaucoup de drames auraient été évités si l'Empereur ne s'était pas laissé séduire par une Hikari.
« Chiharu… fit Tetsuō d'une voix désolée en lui tapotant le bras.
– Enfin, on ne peut pas changer le passé, reprit le Premier Prince en se redressant. Mais quand j'aurais des enfants, je laisserai le Conseil diriger l'Empire de l'Aube et je me consacrerai entièrement à mes fils. Je refuse de suivre l'exemple de mon père ! »
Cette déclaration consterna les gens présents.
« Tu… tu es sûr ? hasarda Tetsuō, inquiet.
– Bien sûr ! Il n'y a que la famille qui compte, après tout. Je ne voudrais pas le regrette si je venais à perdre l'un de mes fils. »
Comme Tetsuō et Yatsu étaient perdus dans cette situation, ils se tournèrent vers le seul adulte présent. Yama avait écouté tout cela en plissant les yeux.
« Votre Altesse, vous dites ne pas vouloir suivre l'exemple de votre père, mais en confiant la gestion de l'Empire à d'autres, c'est exactement ce que vous allez faire. »
Chiharu se raidit et rougit un peu de colère. Il n'avait pas l'habitude qu'on lui réplique de la sorte.
« Ce n'est pas comme si je comptais laisser l'Empire aux mains des Hikari, se défendit-il.
– Ceux que vous choisirez deviendront peut-être les nouveaux Hikari. »
Le Premier Prince prit un air buté.
« Vous, qu'en savez-vous ? renifla-t'il de dédain.
– J'ai eu la même pensée que vous à une époque, répliqua le Vite sans se vexer. Je voulais uniquement voir mon fils grandir et je me moquais bien du reste du monde. »
Il caressa la tête de Yatsu par-dessus la table avec un sourire affectueux.
« Mais ensuite, je me suis rendu compte que si je n'agissais pas dans la guerre contre les Hikari, quel genre de monde je lui laisserais ? »
Chiharu tressaillit malgré lui et Yama lui lança un regard profond.
« Vous êtes destiné à être Empereur, il y a des choses que vous seul pouvez et devez faire. Ne laissez personne d'autre prendre votre place, sinon dans quel monde grandiront vos fils ? Accepter vos responsabilités, c'est aussi prendre soin d'eux. »
Accepter ses responsabilités… Yama ne les entendit pas mais il pouvait très bien imaginer les Diables s'étrangler d'indignation. Il était bien le dernier placé pour faire la morale au Premier Prince, lui qui fuyait la vérité depuis tant d'années.
Ignorant cela, Chiharu fut frappé par les paroles du général. Il n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle. Il s'était seulement imaginé le bonheur simple et égoïste de passer ses journées en compagnie de ses deux enfants rieurs et heureux. Mais quel exemple leur donnerait-il dans ce cas ? Déboussolé, il fit :
« Je… Vous m'avez donné à réfléchir, général Yama.
– Vous êtes encore jeune, fit Yama d'un ton indulgent. Vous aurez mille fois le temps de changer d'avis. »
Chiharu acquiesça et l'atmosphère lourde se radoucit. Cependant, Yatsu se jura de ne plus jamais aborder le sujet du petit frère avec Chiharu : les conséquences étaient bien trop graves !
Yama ne put réchapper plus longtemps à la corvée d'accompagner Mitsuhide chez un noble mineur qui les avait invités afin de mieux faire connaissance. Les deux hommes se rendirent dans son domaine de Toki, situé à une heure du palais. Le trajet se fit en carrosse, pour le plus grand déplaisir de Yama qui aurait préféré chevaucher.
« Voyager en carrosse donne une image de prestige, expliqua le seigneur de Madare en souriant, surtout quand la garde impériale vous escorte. Si nous venions à cheval, cela ferait de nous des provinciaux.
– Mmm, tu te souviens que tu as critiqué les garçons qui s'habituaient trop au luxe des appartements impériaux ? Tu deviens comme eux, » fit Yama en soupirant.
Pas du tout vexé par sa pique, Mitsuhide eut un léger rire.
« C'est vrai que toutes ces attentions me montent un peu à la tête, reconnut-il. Je compte sur toi pour me rappeler ma condition !
– Fais-moi confiance, » assura le Vite en hochant la tête.
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Le seigneur Hawori les reçut avec enthousiasme. Ses yeux roses s'écarquillèrent en voyant Yama, le premier Vite qu'il rencontrait et qui était en plus le célèbre héros de guerre.
« Seigneur Mitsuhide, général Yama, c'est un honneur pour moi de vous recevoir dans mon humble demeure.
– Merci de nous recevoir, seigneur Hawori, répondit courtoisement Mitsuhide.
– Seigneur Hawori, » fit simplement Yama en s'inclinant.
En l'entendant parler, l'autre homme prit un air encore plus ébahi. Yama adressa un regard entendu à son ami et un sourire ironique étira ses lèvres.
« Ouaf, marmonna-t'il en profitant que leur hôte leur ouvre le chemin.
– Arrête ! » répondit Mitsuhide sur le même ton en lui donnant un coup de coude.
Il allait avoir bien du mal à garder son sérieux.
Hawori était un noble mineur avec peu d'ambition. Yama se dit qu'il les avait invités uniquement pour pouvoir s'en vanter ensuite auprès de ses amis. Le repas eut lieu en comité restreint avec les trois fils du seigneur, dont les âges allaient de vingt-deux à trente-neuf ans. Yama laissa le soin à Mitsuhide de faire la conversation, c'était plus son domaine après tout. Il endossa volontiers le rôle du barbare taciturne. Cependant, leur hôte était rempli de curiosité à son égard — en tant que Vite. Yama dut répondre à la sempiternelle question des relations entre hommes et femmes. Les Autres ne parvenaient pas à concevoir que les hommes Vites s'en contentaient.
« Mais vous conviendrez qu'il y a des besoins que seul un homme peut combler, insinua Hawori.
– Ce qu'une femme ne comble pas physiquement, elle le comble émotionnellement, répondit Yama sans bien percevoir toutes les nuances. Dans ma culture, le plus important est de concevoir des enfants. L'aspect plaisir est secondaire, voire superflu.
– Heureusement que vous êtes venu dans notre Empire, alors. Cela vous a permis de vous ouvrir à d'autres modes de pensées. »
Mitsuhide faillit s'étrangler de rire avec son thé. Yama ne comprit toujours pas les sous-entendus grivois.
« J'ai toujours eu l'esprit ouvert, » répliqua-t'il.
Le seigneur Hawori eut un petit rire entendu, sauf qu'il se trompait du tout au tout.
Le repas touchant à sa fin, leur hôte leur avait préparé un petit divertissement : de la musique. Trois femmes entrèrent, une avec un koto, l'autre avec une flûte et la troisième avec un tambourin. L'un d'elles, en apercevant soudain les visiteurs, lâcha son koto et se mit à hurler de terreur. C'était une Hikari et la vue de Yama l'avait effrayée au plus haut point. Le visage de Hawori se durcit.
« Incapable ! cracha-t'il. Tu oses me faire honte devant mes invités ?
– L… Lui ! » balbutia la femme en désignant Yama du doigt.
Ce dernier haussa un sourcil, peu intéressé. Mitsuhide, lui, plissa le front.
« Général Yama, seigneur Mitsuhide, pardonnez-moi pour cet incident. Général Yama, si vous le souhaitez, vous pouvez tuer cette femme. »
Cela attira l'attention du Vite.
« Pourquoi ferais-je cela, seigneur Hawori ? demanda-t'il d'un ton un peu sec.
– Hé bien, ce n'est un secret pour personne que vous haïssez les Hikari. Combien en avez-vous tués durant la guerre ?
– La guerre est terminée, je n'ai plus aucune raison de les tuer. »
Il posa les yeux sur la femme terrorisée et eut un sourire moqueur.
« Après tout, le sort qui leur a été réservé est encore plus humiliant pour eux que la mort. »
Hawori prit un air déçu. D'un geste, il congédia les femmes. La Hikari fut soutenue par les deux autres femmes pour quitter la pièce.
« Ah, je vous croyais plutôt du genre à aimer tuer vos ennemis de vos propres mains.
– Pas les femmes et les enfants, décréta Yama.
– Bien sûr, bien sûr ! »
Sentant l'intérêt morbide de leur hôte, Mitsuhide se chargea de mettre vite fin à leur visite. De retour dans le carrosse, Yama commenta simplement :
« Cet homme est méprisable.
– Je suis d'accord avec toi, approuva son ami. J'ai bien senti quelque chose de bizarre quand il a insisté pour que tu viennes.
– Tu as bien fait de m'emmener. Tu devrais davantage te méfier de ces invitations à présent.
– D'accord, d'accord, » promit Mitsuhide.
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