Le Prince Solitaire 6 9

Chapitre Neuf : La Fuite


Près de la plaine de Mara, sixième mois de l'année 2454


Haruni retourna rapidement dans sa tente et prit deux capes de voyage pour son frère et lui. Si l’ennemi arrivait à capturer l’un d’eux, il pourrait faire pression sur l’Empereur. Il fallait à tout prix éviter cela ! Dans la vingtaine de soldats qui étaient restés, Haruni avait identifié deux Ombres, dont celui qui était apparu la veille. Peu avant leur départ de Kurojū, sur les ordres de Tegami, le général Kafūze lui avait présenté les Ombres qui feraient partie des soldats. Les Ombres avaient chacune des missions propres, mais leur priorité resterait la protection des deux princes. Ayant une excellente mémoire, Haruni avait bien entendu retenu les visages.


Lorsqu’il quitta la tente, Tomuki se tenait à côté de Seiryū et ils discutaient vivement. Ils se turent à l’arrivée de Haruni. Pendant ce temps, les soldats finissaient de rassembler les chevaux.

« Haruni, nous rejoignons le général Bakkushō ? s’enquit le Premier Prince.

Oui, faisons vite. »

Au vu des nombreuses circonstances, Haruni ne faisait guère confiance au général, mais le plus prudent était de rejoindre l’Armée Impériale. Il y aurait aussi le général Narubi, de toute façon. La bataille serait déjà commencée d’ici à ce qu’ils les rejoignent, donc ils seraient relativement en sécurité au dernier rang, entourés de soldats fidèles à l’Empire de l’Aube.


Tout le monde monta en selle. Haruni entendit les marmonnements de soldats pas contents de se faire bousculer par un gamin. Il n’en tint pas compte. De même, il sentait que son frère et Seiryū ne le croyaient pas entièrement malgré la preuve de la veille mais du moment qu’ils le suivaient, peu lui importait. Le lieutenant Shurō ouvrit le chemin, les deux princes et Seiryū se trouvaient en milieu de colonne. Bien que Haruni leur avait dit de se montrer attentifs et en alerte, les soldats se contentaient de suivre. Deux d’entre eux étaient partis en éclaireurs, ce qui réduisait encore leur nombre.


Tomuki se tourna vers son frère.

« Haruni, ça ira avec ta blessure ? Seiryū m’a dit que c’était grave.

Il a exagéré, » répliqua sèchement l’adolescent.

Juste derrière eux, Seiryū prit un air indigné alors que l’image du bras sanguinolent lui revint en mémoire. Il n’avait pas du tout exagéré, bien au contraire ! Il avait même évité d’entrer dans les détails afin de ne pas effrayer Tomuki ! Seiryū se retint de répliquer, mais son visage exprima clairement son mécontentement.


~*~


Cela ne faisait que vingt minutes qu’ils étaient partis lorsque l’attaque se produisit. Une volée de flèches se planta devant eux. Haruni se rapprocha aussitôt de son frère, son sabre à la main, prêt à le défendre. Les soldats se mirent en position défensive autour d’eux, en jurant entre leurs dents. Ils étaient sur leurs gardes à présent ! Les archers ennemis se trouvaient à deux cents mètres en face d’eux et il y en avait une vingtaine. Haruni retint un soupir : même les archers étaient plus nombreux qu’eux ! Sa sensibilité aux ombres lui apprit qu’il y avait aussi des soldats des deux côtés de la route, soit une centaine de personnes. La situation s’annonçait mal.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

« Votre Altesse, que faisons-nous ? » s’enquit le lieutenant Shurō en quêtant le regard de Tomuki.

Mais le Premier Prince n’en avait aucune idée. L’air stupéfait, il fixait les archers plus loin en essayant de comprendre la situation. Haruni vola à son secours :

« Maintenez la position ! »

Son ton était tellement autoritaire que les soldats ne discutèrent pas. Leurs sabres en main, ils attendirent la suite des ordres. Il n’y avait pas grand-chose à faire : de toute évidence, l’ennemi voulait les empêcher de rejoindre le reste de l’Armée Impériale. Du coup, même si ce n’était pas la meilleure option, il ne leur restait que la retraite. Sauf que la présence des archers rendait la manœuvre risquée…


« À mon signal, repli au galop, commanda Haruni.

Quoi ? intervint Seiryū. Mais les archers… »

Haruni l’ignora royalement pour se concentrer sur son calme intérieur, un état qu’il n’avait pas pu atteindre la veille. Bien que la situation n'était pas favorable, Haruni avait la maturité nécessaire pour ne pas paniquer et réfléchir calmement. Il visualisa les archers devant lui et avec une incroyable précision, il enflamma les cordes en même temps.

« On y va ! » s’écria-t’il en tirant sur les rênes de Yaji pour lui faire faire demi-tour.

Le groupe suivit son mouvement.


Dans la forêt, les soldats cachés ne réagirent pas tout de suite, comptant sur les archers pour répliquer. Toutefois lorsque aucune flèche ne siffla, le commandant sortit des bois pour obtenir une explication et eut la stupeur de voir les arcs rendus inutiles.

« Je ne comprends pas, commandant Gorō, balbutia le chef des archers. Les cordes ont pris feu d’un coup !

Incapable ! »

Le commandant transperça son subalterne de son sabre sans sourciller. Les autres n’osaient plus respirer. Le caractère cruel du commandant était bien connu et il ne tolérait aucune erreur. Il se tourna vers le reste de ses hommes et ordonna d’une voix bien forte :

« Rattrapez-les ! »

Les soldats récupérèrent leurs montures et se lancèrent à la poursuite des fugitifs.


~*~


Haruni ordonna l’arrêt à mi-chemin du campement.

« Descendez de cheval.

Haruni, qu’est-ce que… »

L’adolescent ignora son frère.

« Faites partir les chevaux vers le campement et cachez-vous des deux côtés de la route. Attention à ne pas laisser de traces ! »

Confus, les soldats obéirent face à l’autorité de l’adolescent. Seiryū fut nettement plus réticent, mais il ne put que suivre le mouvement. Il prit cependant bien soin de se placer du même côté que les princes.


Il n’y eut pas de bruit pendant un long moment, hormis le chant des oiseaux. Puis soudain, une troupe de cavaliers passa au grand galop. Ils ne s’arrêtèrent même pas, filant droit vers le campement. Quand ils furent au loin, Haruni attendit encore un peu avant de donner le signal de rassemblement.

« On les a bernés ! s’écria Tomuki, ravi.

C’est facile quand on n’est pas nombreux, relativisa son frère.

Sauf qu’ils ne vont pas tarder à arriver au campement et à découvrir nos chevaux, argua Seiryū. Ils vont vite comprendre la manœuvre. »

Haruni lui lança un regard froid.

« C’est bien pour ça que nous n’allons pas rester ici. Suivez-moi ! »

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D’un pas résolu, il s’enfonça dans la forêt. Après des hésitations, Seiryū et le Premier Prince lui emboîtèrent le pas, suivis par les soldats.

« Haruni, on va bien rejoindre notre armée à la plaine de Mara ? C’est toujours le plan, hein  ? » s’enquit Tomuki, un peu soucieux.

L’adolescent ne répondit pas tout de suite, ce qui accrût son malaise.

« Haruni ?

Je pense que les routes d’ici à la plaine sont placées sous surveillance. Nos poursuivants ont profité du fait que nous soyons isolés du reste de l’armée, ils ne vont pas nous laisser les rejoindre. »

Seiryū avait écouté les arguments et dut reconnaître qu’il était d’accord avec Haruni.

« Que faisons-nous alors ? » demanda-t’il d’un ton amical.


Haruni répondit sèchement sans le regarder :

« S’éloigner des routes, trouver un abri et attendre.

Attendre quoi ?

Que notre absence au front soit remarquée et que le général Narubi envoie des hommes à notre recherche. C’est notre seule chance.

N’oublie pas le général Bakkushō, intervint son frère.

Je ne l’oublie pas, répondit Haruni, la mine sombre.

Notre absence devrait vite être remarquée, commenta Seiryū d’un ton qui se voulait rassurant.

Pas sûr, la bataille va certainement les occuper jusqu’au soir. »

Il ne précisa pas que même une fois le soir venu, rien n’assurait que les généraux prendraient la peine de s’inquiéter pour eux. Au pire, ils penseraient qu’ils étaient restés au campement.


« Où va-t’on pouvoir se cacher ? demanda Tomuki.

Le petit nombre joue en notre faveur, c’est déjà ça. Il est plus facile de cacher vingt personnes que deux cents. On va bien trouver quelque chose. Au pire, une clairière au cœur de la forêt fera l’affaire. »

Face à l’assurance de son frère, Tomuki se sentit étrangement soulagé. Haruni savait quoi faire, il pouvait se fier à lui. Au contraire, Seiryū n’approuvait guère ce plan. Il n’hésita pas à exprimer son opinion :

« Nous ne serons pas en sécurité tant que nous n’aurons pas rejoint l’Armée Impériale ! Au lieu d’attendre que l’ennemi nous retrouve, nous devrions plutôt forcer le passage !

Avec vingt hommes ? Trop risqué.

Mmph, ne venez pas me parler de risque après ce qui s’est passé hier soir ! »


Haruni s’arrêta pour se tourner vers lui et lui lancer un regard assassin.

« Vous tenez vraiment à parler de tout ce qui s’est passé hier soir ?! l’attaqua-t’il.

Je… j’ai fait ça pour votre bien ! » se défendit Seiryū en rougissant de honte.

Haruni renifla de dédain.

« Voyez le bien que ça a fait ! »

Il reprit sa progression sans le regarder davantage. Seiryū serra les poings et se mordit les lèvres. C’était extrêmement injuste de le tenir pour responsable de la situation actuelle : comment aurait-il pu deviner ce qui allait se passer ?

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Le regard de Tomuki passa entre les deux jeunes gens, conscient d’un malaise depuis le début de la journée. Il rejoignit son frère, évitant de trébucher sur des racines.

« Haruni, il y a un problème avec Seiryū ?

Pas maintenant, Tomuki, » répliqua l’adolescent, les dents serrées.

En voyant sa réaction, Tomuki réagit aussitôt :

« Il y a un problème. »

Ces deux-là n’étaient pas amis et ne le seraient jamais, mais il existait une certaine courtoisie relative entre eux, encore plus depuis le Tournoi Impérial. Seiryū s’était même entraîné quelques fois au sabre avec Haruni à l’aube, c’était pour dire ! Mais là, il y avait clairement du ressentiment entre eux. Certes, ce n’était pas le moment de clarifier la situation, mais Tomuki se promit de tirer ça au clair dès que possible et d’essayer d’arranger ce problème. Il ne voulait pas que deux personnes qu’il appréciait soient en froid.


~*~


Après deux heures de marche dans les bois, ils finirent par s’arrêter dans une clairière près d’un ruisseau. Ce n’était pas l’endroit idéal, mais ça ferait l’affaire. Haruni laissa les soldats boire, puis déploya cinq d’entre eux pour monter la garde autour de la clairière.

« Cela me fait penser, nota Tomuki assis à côté de son frère dans l’herbe. Que sont devenus les deux éclaireurs que tu avais envoyés sur la route tout à l’heure ?

Ils sont sûrement morts. »

Le Premier Prince prit un air choqué et stupéfait. Il n’avait jamais eu l’occasion de fréquenter la mort et là, deux personnes qu’il avait vues avaient brutalement perdu la vie. Haruni nota sa consternation et commenta :

« C’est ça, la guerre.

Je sais. »

Cependant, le savoir et l’expérimenter étaient deux choses fondamentalement différentes.


Haruni remarqua que les soldats avaient sorti leurs rations et se nourrissaient.

« Tu as ramené tes rations, Tomuki ? s’enquit-il.

Mes quoi ? »

L’adolescent eut un léger sourire et ouvrit la bourse suspendue à sa ceinture. Tomuki n’avait vraiment pas l’expérience de la guerre. Heureusement qu’il avait pensé à lui en se préparant. Haruni lui tendit les rations qui étaient simples, mais nourrissantes : de la viande séchée avec deux boulettes de riz — un peu aplaties par le voyage.

« Tiens.

Merci ! Attends, on partage.

C’est bon, je n’ai pas faim, assura Haruni en agitant une main.

Tu es sûr ? »


L’adolescent acquiesça. Il n’avait aucune envie de manger. Non seulement il avait d’autres choses à penser mais pour couronner le tout, la douleur à son bras gauche s’était réveillée depuis un moment à cause des mouvements de marche. Dès qu’il le bougeait un peu, il avait droit à un éclair de douleur. S’il avait le malheur de bouger les doigts, c’était encore pire. Et s’il le gardait simplement immobile, la douleur était quand même lancinante. Mais cela aussi devait attendre. De son côté, Tomuki jeta un regard à Seiryū sur le côté.

« Seiryū, tu en veux ?

Oui, mais juste un peu, merci.

Ne sois pas bête, on partage en deux ! »

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Tomuki fut frappé par une idée et se tourna pour demander à Haruni :

« Cela ne te dérange pas si je partage avec Seiryū ? »

Le Second Prince garda le silence un moment avant de répondre sèchement :

« Je te l’ai donnée, tu en fais ce que tu veux ! »

Tomuki se mordit les lèvres devant cette réponse froide, mais ne revint pas sur cette proposition. Haruni se leva alors.

« Je vais aller remplir ma gourde. »

Mâchouillant un bout de viande, Tomuki le regarda s’en aller. Il se pencha ensuite vers son ami.

« Seiryū, que s’est-il passé à la fin ? Il a l’air vraiment fâché contre toi !

Et il a de bonnes raisons de l’être, » admit le Firal.

Cependant, il n’en dit pas plus, malgré les tentatives de Tomuki pour connaître la vérité.


~*~


Au ruisseau, Haruni se fit accoster par le lieutenant Shurō.

« Votre Altesse, puis-je vous demander quelle va être la suite des événements ? »

Le lieutenant semblait avoir compris qui prenait les décisions.

« Nous nous arrêtons ici pendant une demi-heure, puis nous continuerons vers le sud.

Vous pensez que l’ennemi va nous poursuivre jusque dans les bois ?

Ils ne vont pas renoncer à l’occasion de capturer le Premier Prince, soupira Haruni. Mais ils n’ont pas vu dans quelle direction nous sommes partis, alors ils ont dû se séparer pour fouiller au nord et au sud. Dans tous les cas, nous devons continuer notre progression.

Allons-nous traverser la frontière pour contourner nos poursuivants et rejoindre la plaine de Mara ? »


Haruni le fixa, interloqué, avant de rire légèrement.

« Lieutenant, vous êtes audacieux ! »

Un frémissement agita les lèvres du militaire.

« Pourquoi croyez-vous que je ne sois que lieutenant ?

C’est un tort. L’audace peut s’avérer fort utile en certaines circonstances. »

S’il n’y avait eu que lui, Haruni aurait été fort tenté par ce plan, mais la présence de Tomuki l’incitait à la prudence. Quoi qu’il puisse arriver, le Premier Prince ne devait être ni blessé, ni capturé. Haruni avait juré à ses parents de le protéger et de le ramener sain et sauf. C’était bien ce qu’il avait l’intention de faire, quoi qu’il en coûte !


« Ce serait trop dangereux de nous retrouver à Dekita.

Vous abandonnez donc l’idée de rejoindre le champ de bataille, devina Shurō avec perspicacité.

C’est ce que nos poursuivants s’attendent à ce que nous fassions. Il faut donc y renoncer.

Je croyais que vous comptiez sur l’Armée Impériale pour envoyer des hommes à notre recherche ?

Il sera trop tard quand cela arrivera. »

Il songea en lui-même :

« Si cela arrive. »

Le lieutenant Shurō acquiesça, d’accord avec lui.

« Qu’allons-nous faire alors ?

Continuer vers le sud, puis virer à l’est. »


Les yeux bleus du lieutenant s’écarquillèrent, comprenant ses intentions.

« Vous voulez regagner Kurojū ?

Dans tous les cas, je veux qu’on s’enfonce dans Kami. L’ennemi hésitera à nous suivre, contrairement à ici, près de la frontière. »

Le lieutenant inspira, puis déglutit.

« Soit. Je vois que vous avez bien réfléchi à toutes les options. Cela me rassure. Mes hommes et moi vous suivrons quoi qu’il arrive.

Merci, lieutenant Shurō. »

Une personne au moins reconnaissait ses capacités, voilà qui était gratifiant.

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De meilleure humeur, Haruni rejoignit son frère et Seiryū. Il leur exposa son plan. Les deux jeunes gens ne furent pas ravis de renoncer à l’idée de rejoindre le reste des troupes.

« Nous ne sommes pas loin ! objecta Tomuki. On ne pourrait vraiment pas essayer ?

Il doit bien y avoir un moyen de rejoindre la plaine ! renchérit Seiryū.

Tous les accès vont forcément être surveillés. De toute façon, rien ne nous oblige à rejoindre l’Armée Impériale. Notre but est d’éviter la capture. »

En voyant les mines réticentes, Haruni renifla, un brin impatient.

« Si l’un de vous a une meilleure idée, allez-y ! »

Bien entendu, ils n’avaient rien à proposer.


Seiryū trouva tout de même le moyen de marmonner :

« On aurait mieux fait de garder les chevaux, alors.

Vous m’en voulez pour les chevaux ?! »

Haruni se souvint que déjà lorsque Seiryū l’avait accompagné à Madare, il s’était également plaint de devoir déposer sa monture dans une caserne.

« Senkō m’a été offerte par l’Empereur pour ma majorité, répliqua vivement le Firal. Je tiens énormément à ce cheval !

Yaji m’a été offert par Mitsuhide, répliqua Haruni, mais je sais qu’il ne m’en voudra pas de l’avoir abandonné pour me sauver la vie ! »

Ainsi rabroué, Seiryū ne dit plus rien.


Tomuki, lui, avait continué de réfléchir au plan de son frère.

« Haruni, tu penses vraiment qu’ils cesseront de nous poursuivre si on s’éloigne de la frontière ?

Ils risquent de continuer quand même, mais sur une certaine distance. Tôt ou tard, ils rebrousseront chemin. À nous de les distancer pendant ce temps.

C’est insensé ! explosa Seiryū. Tout comme le fait qu’on ait tourné le dos aux archers tout à l’heure. Ils auraient pu nous abattre comme un rien !

Ils n’ont même pas tiré une seule flèche, se souvint le Premier Prince. Je me demande bien pourquoi. »


Il aurait été si facile de trouver une excuse, mais cela aurait été un mensonge. Haruni soupira. Au vu des circonstances dangereuses, le secret n’était plus de mise.

« Ils n’ont pas pu tirer parce que leurs arcs se sont cassés, répondit-il clairement.

Cassés ? Comment ça ?

Les cordes ont brûlé. »

Cela lui valut des regards bizarres.

« Tu… tu savais que les cordes allaient brûler ? demanda Tomuki avec circonspection.

Je les ai brûlés. »

Seiryū inspira brusquement, comprenant ce qu’il voulait dire. Tomuki mit plus de temps et resta confus.


Haruni vérifia que personne ne les observait, puis il leva la main droite, paume vers le ciel. Une petite flamme apparut au-dessus, dansant au gré du vent. Tomuki poussa un léger cri de surprise, ses yeux azur s’écarquillant. Haruni éteignit bien vite le feu d’un revers de la main.

« C’est… c’est… mais c’est…

De la magie, oui, finit-il pour son frère.

Et cela vient des… Hikari ? Bien sûr, puisque ce sont les seuls magiciens.

Pas les seuls, rectifia l’adolescent. Mais ça, oui, ça vient d’eux. Par contre, tu dois garder ça secret. »

Il se tourna vers Seiryū qui ne disait rien, mais dont les pensées tourbillonnaient.

« Je me doute que vous êtes impatient de révéler ça à votre père, railla-t’il, mais sachez que l’Empereur est au courant depuis longtemps. Alors ça ne changera rien. »

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Tomuki cligna des yeux.

« Père le sait ? s’ébahit-il. Et mère ?

Aussi. La pauvre, elle a eu sa dose d’incendies à éteindre quand elle s’est occupée de moi à mon arrivée à Kurojū, » expliqua Haruni avec un sourire mitigé.

Maintenant qu’il en parlait, Tomuki se souvenait que dans les premiers temps, quand il rendait visite à son frère alité, il y avait toujours des bassines d’eau à portée de main. Et une fois, un servant avait buté contre une lanterne par accident juste à côté d’eux, mais Kaname avait aussitôt versé une carafe d’eau dessus par pur réflexe. En fait, c’était parce qu’elle avait eu de l’entraînement avec Haruni !


« Hier, intervint Seiryū, le pont détruit… c’était aussi vous ? »

Haruni acquiesça, n’ayant plus de raison de le cacher. Le regard de Seiryū tomba sur son bras gauche.

« Alors votre blessure…

L’eau n’est pas mon élément, » le coupa-t’il simplement.

Tomuki prit un air inquiet.

« C’est la grave blessure dont tu me parlais ce matin, Seiryū ?

Ce n’est pas une grave blessure, rectifia Haruni.

Alors allez-y, montrez votre bras ! le mit au défi Seiryū. Ou même bougez-le ! »

Les deux s’affrontèrent du regard un moment, tandis que Tomuki ne savait pas s’il devait se sentir inquiet ou gêné.

« Au lieu de perdre du temps avec ça, finit par dire Haruni, nous devrions nous remettre en route ! »

Seiryū ne dit rien, car Haruni avait effectivement raison. Cependant, il ne comptait pas laisser cette histoire de côté.


~*~


Au cours de l’après-midi, il devint malheureusement de plus en plus évident que l’ennemi les avait repérés et les encerclait progressivement. Les éclaireurs revenaient à chaque fois très vite en signalant des petites troupes plus loin. Qui plus est, la forêt avait beau être vaste, il faudrait bien qu’ils finissent par en sortir et ils seraient alors à découvert. Sinon, l’ennemi pourrait en avoir assez et mettre le feu à la forêt pour les obliger à se montrer. Haruni dut une fois encore revoir ses plans, alors que la lassitude commençait à se faire sentir dans leur groupe après des heures de marche difficile au plus profond de la forêt.


Pendant que Tomuki se vidait la vessie un peu à l’écart, Seiryū s’approcha du Second Prince.

« On ne va plus tenir très longtemps comme ça, commenta-t’il.

J’en ai bien conscience, reconnut Haruni. J’ai bien peur que si on veut s’en sortir, il va falloir prendre des risques.

Qu’avez-vous en tête ? »

De son avis, hormis son obstination à minimiser sa blessure au bras, Haruni s’était bien débrouillé jusqu’à présent. Il savait réagir vivement aux changements de circonstances et restait calme malgré tout, ce qui étaient des qualités fondamentales pour un meneur. Seiryū n’aurait pas cru que ce garçon avait ça en lui. Il savait déjà que Haruni était bon en stratégie, mais la théorie était une chose, la pratique en était une autre. Certes, certains de ses choix étaient discutables mais il fallait reconnaître que c’était grâce à lui qu’ils avaient pu arriver aussi loin.


« Nous allons attirer l’ennemi sur une fausse piste avec un leurre. »

Devant le regard perplexe du Firal, Haruni expliqua son idée : ils allaient rechercher une patrouille isolée qui leur barrait la voie vers l’ouest. Trois d’entre eux iraient subtiliser deux chevaux en ciblant des soldats en queue de colonne, puis partiraient au galop en se faisant bien remarquer. Ils laisseraient l’un d’eux pour couvrir leur fuite.

« L’idée est de leur faire croire à une manœuvre désespérée pour assurer la fuite des deux princes. La patrouilla ira à notre poursuite, ce qui vous laissera la voie libre pour partir. »

Seiryū avait commencé par tirer une drôle de tête en entendant ce plan, puis il tiqua en relevant quelque chose.

« Vous voulez le faire vous-même ? »

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Haruni retint un soupir.

« L’ennemi n’est pas stupide. Je serai un des deux cavaliers, comme ça ils verront bien qu’il y a un prince. Le deuxième cavalier aura le visage caché par une capuche. Tomuki restera avec vous, en sécurité. »

Seiryū en resta interloqué : Haruni se proposait pour être l’appât ? C’était plus que douteux ! Même s’il se sentait coupable envers lui pour ce qui s’était passé la veille, il n’oubliait pas la mission que son père lui avait confiée : protéger les deux princes — surtout le Premier Prince — et veiller à ce que le bâtard Hikari n’en profite pas pour faire un mauvais coup. Et sa proposition ressemblait totalement à un mauvais coup.

« Si je comprends bien, fit-il d’un ton un peu railleur, vous allez prendre la fuite en nous laissant entourés d’ennemis ? »


Un éclair de colère passa dans les yeux dorés.

« Vous n’avez rien écouté ! Je vous ai dit que je vais attirer la patrouille pour l’éloigner de vous !

Imaginez qu’ils ne vous suivent pas ? Ou qu’ils n’envoient qu’une partie des soldats à votre poursuite ? Cela vous permettrait de fuir en toute tranquillité !

Vous pensez vraiment que je m’enfuirais en laissant Tomuki derrière ?! »

Seiryū haussa un sourcil sans répondre tout de suite, ce qui rendit Haruni furieux et indigné. Le Firal fit ensuite d’un ton d’évidence :

« Je pense que pour vous, votre vie est plus importante que celle de votre frère. Vous n’hésiteriez pas à le sacrifier pour vous en sortir ! »


Le coup partit tout seul. Seiryū reçut de nouveau un coup de poing en pleine figure, encore plus violent que celui de la veille. Il recula de quelques pas tandis que tous les yeux se posaient sur eux. Tomuki était revenu entre-temps et il ne put que pousser un cri face à cette violence qu’il ne comprenait pas. De son côté, Haruni était à la fois choqué et très en colère. Après tout ce qu’il avait fait ces deux derniers jours, Seiryū pensait encore cela de lui ?! Une vague d’amertume profonde l’envahit.

« À ses yeux, songea-t’il, je resterai toujours un Hikari, quoi que je fasse. »

Dans ce cas, il ne voyait plus aucun intérêt à le convaincre du contraire. Son opinion ne compterait plus pour lui !

« Ne m’adressez plus jamais la parole ! » siffla-t’il en s’éloignant.

Une main à sa joue, Seiryū renifla de mépris, content d’avoir vu clair dans le jeu du bâtard. Ce fourbe avait caché ses pouvoirs pendant des années, qui pouvait dire ce qu’il cachait d’autre ?


~*~


Dans une ambiance gênée, Haruni fit comme si de rien n’était et rassembla tous les soldats, ainsi que son grand frère, afin de leur exposer son plan. Il commença d’un ton encore empreint de colère, puis se força à se calmer peu à peu. Un meneur qui se laissait envahir par ses émotions en un moment critique ne pouvait guère espérer inspirer la confiance.

« Pour moi, c’est la seule option qu’il reste, conclut-il d’un ton sincère. J’ai bien conscience que c’est très dangereux et que les deux volontaires qui m’accompagneront n’auront que très peu de chance de s’en sortir. Maintenant, si mon plan ne vous convient pas, je serai ravi de laisser le commandement à quelqu’un qui aura une meilleure idée. »

En disant cela, il lança un regard appuyé à Seiryū qui se pinça les lèvres, mais ne dit rien.

« Haruni, protesta Tomuki, c’est trop dangereux !

Nous sommes dans une situation dangereuse, rétorqua l’adolescent. Si nous ne faisons rien, nous serons capturés de toute manière. »

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Seiryū finit par ne plus pouvoir se retenir et lança :

« Je ne suis pas d’accord avec ce plan, c’est inacceptable !

Autre chose à proposer ? répliqua sèchement Haruni sans le regarder.

Non, mais je ne suis pas d’accord ! »

Le lieutenant Shurō eut alors un rire moqueur, ce qui décontenança le Firal.

« Ça me fait vraiment marrer, les nobles comme vous, fit-il à Seiryū. On ne vous a pas entendu proposer une seule idée de la journée. Par contre, vous n’avez fait que critiquer !

Sergent, vous oubliez un peu à qui vous vous adressez ! » fit Seiryū, blême devant ce manque de respect.

Il fallait savoir que la hiérarchie dans l’armée était très stricte. Même si Seiryū n’était que Firal, et pas encore officier, son rang était nettement plus élevé que ce simple soldat.


Shurō lui jeta un regard méprisant.

« C’est lieutenant, rectifia-t’il. De toute façon, vous et les princes, vous ne risquez rien quoi qu’il arrive parce que l’ennemi ne va pas vous tuer. Vous êtes des otages trop importants. Nous autres, on est mort si on se fait capturer : ils ne vont pas s’encombrer de simples soldats. Alors un plan où on a des chances de s’en sortir, même un peu, c’est acceptable pour nous. Vous en dites quoi, les gars ? »

Autour de lui, les soldats hochèrent vigoureusement la tête. Seiryū n’en revint pas qu’ils prennent ainsi le parti de Haruni. Ce gamin les avait envoûtés ou quoi ?! Il serra les poings et se jura qu’une fois que tout cela serait terminé, il irait personnellement se plaindre auprès de son père et après ça, ce lieutenant serait encore moins qu’un sergent.


Au final, seuls Seiryū et Tomuki s’opposaient au plan, alors la majorité l’emporta. Le groupe se dirigea vers l’est, des éclaireurs en quête d’une petite patrouille isolée. Seiryū ne dit plus un mot, mais marchait d’un pas furieux, ruminant sa colère. Tomuki, lui, essaya plutôt de raisonner son petit frère.

« Tu ne peux pas te mettre en danger comme ça ! Je ne l’accepte pas !

Tomuki, si je pouvais faire autrement, je le ferais. Maintenant, à choisir entre toi et moi, c’est toi qui dois t’enfuir.

Mais pourquoi ? »

Haruni lui jeta un regard d’évidence.

« Tu es l’aîné et l’héritier, c’est normal. »

Cela allait de soi pour Haruni, mais pas pour Tomuki. En ce moment, il se moquait bien de son rôle d’hériter et d’aîné. Il se sentait désespéré et impuissant de ne pas pouvoir protéger son petit frère !


Haruni sentit l’inquiétude sincère du jeune homme, contrairement aux soupçons ridicules de l’autre imbécile. Il s’adoucit.

« Tous ces hommes sont prêts aussi à donner leurs vies pour te protéger.

Ce… ce n’est pas normal ! »

Les yeux azur se remplirent de larmes. Comment pouvait-il accepter le fait que des gens se sacrifient pour lui ?

« Ainsi va le monde. Si des gens meurent pour toi, honore leur sacrifice en devenant un bon empereur.

Tu n’es pas des gens, tu es mon petit frère ! »

Haruni lui sourit.

« Ne t’en fais pas pour moi : comme l’a dit le lieutenant Shurō, le pire qui m’attend, c’est d’être prisonnier. Ils ne me tueront pas. »

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

Le pauvre Tomuki était tellement stressé et bouleversé par tout ce qui s’était passé depuis deux jours qu’il en avait occulté ce fait. Il retint ses larmes et jeta un regard rempli d’espoir vers Haruni.

« C’est vrai ?

Je représente un otage bien trop précieux, sois-en sûr. Tadeoru voudra plutôt se servir de moi pour obliger Père à capituler en échange de ma libération. »

Tomuki n’avait pas pensé si loin et du coup, sa tristesse disparut.

« Cependant, prévint Haruni, Père ne devra céder en aucun cas. Il faudra bien le lui dire.

Mais si tu…

En aucun cas ! »


Le ton ferme de l’adolescent coupa court à toute objection.

« Je ne comprends pas ! fit Tomuki d’un ton perdu.

Si Père commence à céder à Tadeoru, l’autre lui en demandera toujours plus et ne me libérera jamais. C’est ce genre de personne, alors mieux vaut éviter de le laisser avoir de l’ascendant sur Père.

Mais qu’est-ce qu’il te fera alors ? »

Haruni se sentait nettement moins inquiet.

« Tu sais, avant que ça n’arrive, il faut déjà que je me fasse capturer. Et tu peux être sûr que je ne me laisserai pas faire aussi facilement. Si ça se trouve, je vous rejoindrai en cours de route ! »

Tomuki n’y crut pas, mais eut tout de même un léger rire.

« Comment tu feras pour nous retrouver ? argua-t’il.

Je te retrouverai, toujours. »

Encore une fois, la certitude de son frère rassura Tomuki.

« Alors je t’attendrai. »







Commentaires :


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Novel_roman a écrit le dimanche 01 octobre 2023 à 14:55
Merci pour ce chapitre la fin était vraiment émouvant hâte d'être dimanche prochain ❤️💕

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