Le Prince Solitaire 6 14

Chapitre Quatorze : Le retour


À l'ouest de la province de Kami,
septième mois de l'année 2454


En fin de journée, comme l'avait annoncé Kenryū, ils s'arrêtèrent dans une ville de taille moyenne. Afin de ne pas attirer l'attention, Haruni dut rabattre sa capuche pour cacher son visage trop reconnaissable. La troupe de gardes en elle-même ne suscita pas plus d'attention que ça, vu que les civils avaient pris l'habitude de voir passer des soldats depuis que la guerre avec Dekita avait commencé. Ils arrivèrent à une auberge où Kenryū prit deux chambres individuelles — une pour Haruni, une pour lui et son fils — et une chambre commune pour les soldats qui se relaieraient pour monter la garde durant la nuit.

« J'ai déjà envoyé un garde chercher un médecin, fit Kenryū au Second Prince. Désirez-vous dîner avant qu'il vous ausculte ?

Je veux surtout prendre un bain, » répondit carrément Haruni.


Kenryū avait noté son sale état et une fois en intérieur, l'odeur qui se dégageait de l'adolescent était encore pire. Il acquiesça et donna des ordres aux serveurs de l'auberge.

« Si vous avez besoin qu'on vous assiste pour le bain, proposa Kenryū, je peux demander à un des gardes.

Je me débrouillerai, » refusa aussitôt Haruni.

Kenryū n'insista pas et se retira dans la chambre voisine avec son fils. L'eau chaude arriva bientôt et le serveur remplit la grande bassine en bois prévue à cet effet dans la chambre. Il jeta un regard curieux au client qui avait gardé sa capuche même à l'intérieur, mais se rappela que son patron leur avait formellement interdit d'importuner ces généreux clients. Il se retira en s'inclinant légèrement.


Ce fut sans doute la première fois de sa vie que Haruni se précipita vers un bain. Il retira ses vêtements et les fit tomber à côté de la bassine, lui qui prenait le soin de les plier d'ordinaire. Il s'immergea avec bonheur dans l'eau chaude, soupirant d'aise. Contrairement à sa blessure au ventre, il avait conservé les bandages autour de son bras gauche, aussi prit-il bien soin de ne pas le mouiller. Il prit le linge pour se laver et vit avec plaisir la crasse sur sa peau disparaître au fond de la bassine. Il hésita pour ses cheveux, car ce ne serait pas simple de les recoiffer ensuite d'une main, mais son besoin de propreté l'emporta. L'eau avait changé de couleur une fois qu'il eut fini de se laver, mais il se sentait tellement mieux.


Adossé contre la bassine, les bras posés sur le rebord, Haruni contempla d'un air peu enthousiasme la pile de vêtements par terre. Il n'avait aucune tenue de rechange, mais il n'avait vraiment pas envie de porter de nouveau ces vêtements sales et puants. Pendant qu'il était en proie à ce dilemme, il entendit toquer à la porte. Il se raidit un moment, puis une voix lui parvint du couloir :

« C'est moi, votre Altesse. »

Il s'agissait de Seiryū.

« Vous pouvez entrer. »

Le Firal s'exécuta et referma soigneusement la porte derrière lui. Il s'approcha ensuite de la baignoire et se figea un peu en voyant le bras gauche bandé du Second Prince.


Il se ressaisit et présenta un tas de vêtements qu'il était venu apporter.

« Voici une tenue propre. J'ai pensé que vous aimeriez vous changer. »

Haruni ne répondit rien, mais se renfrogna un peu en constatant que le Firal avait deviné ce qu'il voulait.

« Ils ne sont pas de très bonne qualité, s'excusa Seiryū, mais c'est tout ce que nous avons pu trouver en ville aussi rapidement.

Peu m'importe, répliqua Haruni. Vous pouvez les poser là. »

Seiryū posa la tenue de rechange sur un tabouret près de la bassine.

Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !

Avec hésitation, son regard se posa sur les cheveux du Second Prince. Il finit par se lancer :

« Vous avez réussi à vous laver correctement ? Vu l'état de votre bras… »

Haruni fit claquer sa langue d'impatience. Seiryū ne comprenait décidément pas le principe de ne plus se mêler de ses affaires.

« Je me suis débrouillé, répliqua-t'il sèchement.

Et vous arriverez à vous coiffer ? » insista Seiryū.

Cette fois, Haruni ne répondit pas, conscient que ce serait compliqué. Mais il ne voulait pas l'admettre pour autant. Seiryū se pinça les lèvres et proposa :

« Laissez-moi vous aider. »

Haruni fut fortement tenté de refuser, mais il devait reconnaître qu'il n'avait pas trop le choix, surtout s'il voulait garder sa blessure secrète pour le moment. Avec un soupir, il céda donc :

« Faites vite. »


Il fallut d'abord que Haruni sorte pour se sécher. Seiryū alla attendre dans le couloir, car Haruni n'avait certainement pas envie que l'autre commente sur sa lenteur à se ressuyer et se propose pour ça aussi ! Au bout d'un certain temps, il s'était séché et rhabillé. Il avait même bandé de nouveau sa plaie au ventre qui se portait bien. Il ouvrit la porte pour que le Firal revienne l'aider à se coiffer.

« Rien de compliqué, » l'avertit-il.

Debout derrière le Second Prince, un peigne en main, Seiryū acquiesça. Il connaissait bien les goûts ultra-simples de l'adolescent. Malgré le bain, il se dégageait encore une légère odeur désagréable de lui, mais il fallait se tenir assez près pour s'en rendre compte. Seiryū prit une poignée de cheveux noirs en main et se mit à les coiffer. Naturellement, étant donné que Haruni avait passé des semaines en cellule sans pouvoir se coiffer ou se laver les cheveux, ces derniers en avaient souffert. Seiryū dut presque batailler pour les démêler.


« Coupez si ça vous gêne, » fit Haruni en sentant que l'autre tirait sur ses cheveux.

Seiryū releva la tête en arborant un air indigné.

« Pas question ! s'écria-t'il. Ce serait un terrible affront !

Pire ou moins pire que de me verser du somnifère à mon insu ? » insinua l'adolescent.

Seiryū se figea dans ses gestes, puis reprit d'un air abattu. Il marmonna quelque chose que Haruni ignora, sans doute encore des excuses peu sincères selon lui. Au bout du compte, Seiryū renonça à tout bien démêler et fit une simple tresse, la coiffure qui masquerait encore le mieux l'état déplorable des cheveux de l'adolescent. Malgré ces soins sommaires, Haruni semblait déjà avoir bien meilleure mine qu'avant, sauf que ce n'était qu'en apparence.


Le temps qu'il termine, Kenryū avait déjà toqué pour entrer. Le général fronça un peu les sourcils en voyant son fils assister le Second Prince comme un simple servant, mais il ne dit rien à ce sujet.

« Votre Altesse, le médecin est arrivé.

Vous pouvez le faire entrer, général Kenryū. »

Le médecin devait déjà avoir été prévenu par Kenryū de l'identité de son patient, car il ne manifesta pas de grande surprise en voyant le Second Prince. Par contre, il se montra nerveux et impressionné, comme il fallait s'y attendre. Pendant qu'il posait maladroitement son grand sac au centre de la chambre et se prosternait, Haruni jeta un regard significatif à Seiryū et son père. Le Firal comprit ce qu'il voulait et recula pour se diriger vers la porte, mais Kenryū ne fit pas mine de bouger.

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Haruni dut lui dire franchement :

« Général Kenryū, je préférerais être seul avec le médecin pour mon examen.

Je suis responsable de votre sécurité, votre Altesse, répliqua Kenryū. Si vous avez des blessures ou que vous êtes malade, je dois le savoir.

Je vous le ferai savoir, contra Haruni.

Mais…

Est-ce trop demandé que de vouloir un peu d'intimité ? »

À ses mots, une lueur défila dans le regard saphir de Kenryū et son visage se crispa. Il parut comprendre quelque chose et se retira sans insister. Haruni ne savait pas ce qui venait de lui passer par la tête, mais il n'allait pas s'en plaindre. Il était hors de question que Kenryū soit au courant de la gravité de ses blessures.


Le médecin était resté silencieux sur le côté, toujours prosterné, sa nervosité augmentant lorsqu'il se retrouva seul avec le Second Prince. Haruni lui fit doucement :

« Tu peux te relever. »

Le docteur s'exécuta en tremblant un peu.

« Votre Altesse, bafouilla-t'il, je suis l'humble docteur Kiro. C'est un immense honneur pour moi que de vous servir. »

Haruni fit un geste de la main.

« Bon, ne perdons pas de temps. »

Alors que le docteur allait s'approcher de lui pour commencer son auscultation, Haruni le coupa net :

« Il me faut simplement un remède contre la fièvre. »

Kiro se figea, incertain.

« C'est que… je dois d'abord vous examiner pour dresser le diagnostic.

Je t'épargne cette tâche. »


Le médecin fit la tête de celui qui voulait protester, mais qui n'osait pas. N'étant pas habitué à fréquenter la haute noblesse, il ne savait pas tourner les phrases correctement et préférait alors ne rien dire. Sauf qu'en l'occurrence, la situation était assez grave pour qu'il ouvre la bouche et explique avec circonspection :

« Votre Altesse, s'il vous arrivait quoi que ce soit, c'est à moi qu'on en ferait le reproche. Alors je vous en conjure, laissez-moi vous examiner ! »

Haruni retint un soupir. Il ne voulait pas mettre ce brave homme dans l'embarras, mais il ne voulait pas non plus que sa blessure au bras soit découverte tout de suite. Il avait certaines choses à faire dès son retour à Kurojū et il ne pourrait pas le faire si on le prenait pour un blessé grave.


Du coup, il céda partiellement et commença à dénouer d'une main les attaches de sa tunique.

« J'ai une blessure au ventre, mais je l'ai déjà soignée et bandée. Il n'y a rien d'autre que tu puisses faire. Tu peux l'examiner, si ça peut te rassurer. »

Effectivement, le médecin se prosterna de nouveau pour le remercier de sa compréhension. Il était tellement soulagé qu'il ne remarqua rien de bizarre dans le fait que Haruni ne retira pas totalement sa tunique, mais ouvrit juste le devant. Kiro défit soigneusement les bandages que Haruni venait à peine de refaire et inspira brusquement en voyant la plaie ouverte.

« Que… Qu'est-ce qui a causé ça ? » demanda-t'il.

Haruni hésita un peu, mais répondit :

« Un tigre. »

Le médecin s'en était douté en voyant les coups de griffes bien visibles, mais il déglutit tout de même.

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Il inspecta la plaie et la palpa, demandant à Haruni si ça lui faisait mal. Au final, il en conclut que les entailles guérissaient correctement mais nécessitaient des soins réguliers. Il remit de l'onguent sur la plaie et la banda soigneusement.

« Je ne vois pas d'infection, ajouta-t'il, alors votre fièvre vient peut-être d'ailleurs. D'autres symptômes, votre Altesse ?

Je manque d'appétit et si je mange de trop, je vomis. »

Le médecin hocha la tête et commença à sortir plusieurs herbes de son sac.

« Je vais vous préparer un remède contre la fièvre et les nausées. Prenez-le deux fois par jour, au réveil et avant le coucher, et cela devrait aller mieux d'ici une semaine.

Merci, docteur. Hum, ton remède, il ne va pas me faire dormir au moins ? »


Kiro le regarda d'un air surpris, ne comprenant pas son inquiétude.

« Ce n'est pas un somnifère, votre Altesse. Par contre, comme il va faire tomber la fièvre, votre sommeil sera de meilleure qualité. »

Haruni resta mitigé et avança une excuse :

« Je dis ça parce que nous sommes à cheval et que nous devons encore retourner à la capitale. Il est hors de question que je passe ma journée à dormir ou somnoler. »

Le médecin plissa le front.

« Votre Altesse, voyager par cheval n'est pas conseillé. Cela ne fait que rajouter à la fatigue actuelle de votre corps. Le mieux serait de prendre un carrosse où vous pourriez vous reposer.

Nous devons rentrer vite, ce n'est pas possible, » objecta Haruni d'un ton définitif.

Kiro ne pouvait rien dire contre cela. Il avait fait ses recommandations, il ne pouvait pas imposer au Second Prince de les suivre.


~*~


Pendant l'examen, Kenryū en profita pour avoir une sérieuse conversation avec son fils.

« Seiryū, raconte-moi en détail ce qui s'est passé. »

Le jeune homme déglutit. C'était justement ce qu'il avait redouté. À cause de son serment sur les Dieux, il ne pouvait pas tout dire à son père. Il ne pouvait pas non plus se taire, alors il était coincé. Dans un tel dilemme, son cerveau fonctionna à toute vitesse et il se dit qu'il pouvait tout de même parler un peu. Il lui suffisait de confirmer des choses que Haruni avait déjà dites avec des choses que Kenryū connaissait certainement. Ce ne serait pas parfait, mais cela pourrait faire l'affaire.


Seiryū inspira donc et se lança prudemment, tout en gardant un œil sur les ombres dans la pièce.

« Comme l'a dit le Second Prince, le commandant Gorō a pris plaisir à nous séparer et nous traiter différemment. Je ne sais donc pas dans le détail ce qui lui est arrivé. Il faudra que vous le lui demandiez vous-même, père. »

Kenryū garda la mine sombre. Seiryū déglutit et décida d'employer une technique : passer à l'offensive pour décontenancer son adversaire.

« Et vous ne vous étiez vraiment pas trompé sur le commandant Gorō. »

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La diversion fonctionna : le général lâcha un soupir écœuré.

« Ce malade ! J'ai bien envie d'aller le trouver pour le tuer ! »

Seiryū ne pouvait pas lui dire que cet homme était déjà mort.

« Au fait, que vous a-t'il demandé en échange de ma libération ? Il en faisait toujours toute une histoire quand vous refusiez. »

Kenryū se figea net.

« … Oublie ça, c'était trop… outrant ! »

Naturellement, cela ne fit qu'attiser la curiosité du jeune homme.

« En tout cas, il a parlé de vous en termes très élogieux. J'ai même eu l'impression qu'il vous appréciait énormément.

Pff ! Ne me parle plus de ça, s'il te plaît ! »

Amusé, Seiryū lâcha un léger rire.


Kenryū le fixa soudain avec une pointe d'hésitation.

« Mon fils, fit-il d'un ton grave, j'espère que tu comprends pourquoi je ne pouvais pas accepter les conditions de ta libération, quelles qu'elles soient. »

Cela semblait être une ombre dans le cœur du général. Il avait été tourmenté par l'idée que son fils se soit senti abandonné. Seiryū le rassura d'un sourire.

« Je comprends parfaitement, père. Vous avez bien fait de ne pas céder à ce monstre. Il ne m'aurait pas relâché de toute façon et aurait continué à vous demander de plus en plus. »

Le regard saphir de son père s'emplit de fierté.

« Merci, Seiryū. »



~*~


Comme le remède devait être chauffé, le médecin descendit dans les cuisines de l'auberge, suivi d'un garde. Prévenu de la fin de la visite, Kenryū entra dans la chambre de Haruni, suivi de son fils. Deux gardes les suivirent pour apporter les plats. Quand Haruni vit l'abondance de nourriture, il sentit son estomac se nouer. Il savait qu'il ne pourrait pas finir tout ça. Heureusement, l'arrivée du médecin avec le médicament permit de distraire l'attention.

« Alors, comment se porte son Altesse ? » en profita pour demander Kenryū.

Haruni lui jeta un regard en coin. Il avait pourtant dit au général qu'il l'informerait lui-même des résultats, mais il fallait croire que Kenryū n'avait vraiment aucune confiance en lui. Tout en soupirant intérieurement, Haruni prit le bol tendu par le docteur Kiro et commença à l'avaler. Sans surprise, le goût était abominable.


Pendant ce temps, Kiro fit respectueusement son rapport :

« Son Altesse a de la fièvre et des nausées. Il est clairement aussi dans un état d'épuisement manifeste. Je lui ai donc prescrit ce remède pendant une semaine. Il devra également se reposer le plus possible. Concernant sa blessure, j'ai vérifié qu'il n'y avait pas d'infection. Il suffira de changer les pansements tous les jours et tout ira bien. »

À la mention de blessure, le regard de Kenryū se porta aussitôt sur le Second Prince.

« Vous ne m'aviez pas dit que vous étiez blessé ! » lui fit-il d'un ton de reproche.

Le regard de Seiryū s'illumina un instant, puis son soulagement retomba. Il ne pouvait pas s'agir de la terrible blessure au bras gauche, sinon le médecin ne se montrerait pas si calme.

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Haruni termina de vider le bol de remède et fit une grimace. Il répondit ensuite à Kenryū :

« Je n'ai rien dit parce que la blessure n'était pas si grave que ça et que je l'avais déjà soignée. Vous n'auriez rien pu faire de plus. »

Pour autant, Kenryū ne décoléra pas et Haruni pouvait presque l'entendre l'insulter mentalement.

« Notre priorité est de rentrer à Kurojū au plus vite, général Kenryū, lui rappela-t'il. Le reste peut attendre. »

Kenryū finit par expirer bruyamment. Il remercia le docteur et le paya. Pendant qu'il le raccompagnait à la porte de la chambre, Seiryū en profita pour faire à Haruni à voix basse :

« Pourquoi vous ne lui avez pas montré…

Silence ! » le coupa l'adolescent en le foudroyant du regard.

Seiryū se mordit les lèvres, mais ne put pas répliquer car son père revenait déjà.


Tous les trois dînèrent en silence. Comme il s'y attendait, Haruni ne parvint pas au bout de son bol de riz avec un peu de viande. Il dut se lever précipitamment pour vomir. Seiryū le fixa d'un air inquiet, tandis que Kenryū s'emportait contre le médecin.

« Ce charlatan ! Son remède ne sert à rien du tout ! »

Même malade, Haruni argua :

« Il faut du temps avant qu'il fasse effet. Et puis, je n'ai plus l'habitude de manger autant. »

Le regard de Kenryū se porta sur la “minuscule” portion de nourriture que s'était servi le Second Prince et il fronça les sourcils.

« Vous n'aviez pas plus que ça à manger à chaque repas ? C'est vraiment inadmissible ! »

Haruni s'abstint de préciser que ce n'était pas par repas, mais par jour.


Il soupira.

« J'étais prisonnier, général Kenryū, pas un invité.

Peu importe, il y a des règles pour le traitement des prisonniers nobles ! Comment a-t'il pu traiter un prince de l'Empire ainsi ?

Si cela avait été mon frère, les choses auraient été différentes, fit Haruni. Gorō exécrait les Hikari. Vous vous seriez bien entendus. »

Seiryū se figea à ces paroles. À sa connaissance, c'était la première fois que Haruni disait ouvertement que son père ne l'appréciait pas à cause de sa lignée maternelle. Il s'inquiéta de la réaction de Kenryū. Le général plissa les yeux, mais continua d'un air naturel :

« Ne me mettez pas dans le même panier que cet homme immonde, votre Altesse. J'ai de l'honneur, moi !

Vous avez raison, général Kenryū, concéda Haruni avec un léger sourire. Bon, je vais aller me coucher. J'imagine que nous partirons tôt demain. »

Kenryū n'insista pas non plus sur le sujet et le Premier Prince se retira. Seiryū reprit le repas avec son père, mais l'ambiance resta silencieuse et lourde. Ils ne tardèrent pas à se coucher à leur tour.


~*~


Une semaine plus tard, ils étaient de retour à Kurojū, n'ayant rencontré aucun souci sur la route. Seiryū eut les larmes aux yeux en voyant s'élever les bâtiments noirs du palais derrière la ville. Il avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée depuis son départ, alors que cela n'avait été que quelques semaines au final. Il se détacha de sa contemplation pour jeter un regard inquiet au Second Prince. Malgré les protestations de ce dernier, Kenryū leur avait imposé un rythme de voyage détendu et ils s'étaient tout le temps arrêté dans des auberges pour le soir. Malgré ça, Haruni avait gardé une mauvaise mine et ses nausées ne s'étaient pas calmées. Seiryū avait eu plusieurs fois envie de rompre son serment pour parler de sa terrible blessure, mais il n'en avait pas eu le courage. Par contre, ses nuits avaient été peuplées de cauchemars dans lesquels Haruni perdait son bras à cause de ça. Si cela devait vraiment se produire… Seiryū ne se le pardonnerait jamais ! Heureusement qu'ils étaient enfin arrivés au palais où, il n'en doutait pas, Haruni aurait enfin les soins dont il avait besoin.

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L'Empereur avait bien entendu été prévenu de leur retour. Le temps qu'ils arrivent dans la cour principale, leur comité d'accueil s'était déjà rassemblé. Haruni descendit avec lenteur de cheval, puis se retrouva happé dans l'étreinte de son père qui fit fi des convenances. Il endura cela malgré la douleur dans son bras gauche qui se retrouva un peu compressé.

« Les Dieux soient loués, fit Tegami avec émotion. Tu es rentré sain et sauf ! »

À côté, Tomuki et Kaname avaient des larmes de joie aux yeux. Haruni fut libéré de l'étreinte paternelle pour subir un examen visuel.

« Tu as une mine épouvantable, Haruni, commenta Kaname d'un ton inquiet. Tu vas bien ?

Le voyage de retour a été fatigant, » reconnut-il.

Cela alerta aussitôt ses proches. Haruni n'était pas du genre à admettre la moindre fatigue, d'ordinaire !


« Je vais tout de suite dire à tes servants de t'apporter un bon repas dans tes quartiers et tu pourras aussi te rafraîchir, proposa aussitôt l'Impératrice.

Et le médecin impérial viendra t'examiner au plus vite, renchérit Tegami.

Ah, le général Kenryū a déjà fait venir un médecin quand nous nous sommes arrêtés au début, argua Haruni. J'ai déjà tout ce qu'il faut pour me soigner.

Ridicule ! contra Tegami avec un reniflement. Un simple médecin de campagne ne vaut pas nos médecins compétents ! Tu vas te faire examiner et je ne veux rien entendre ! »

Haruni inclina la tête.


À quelques pas de là, Seiryū s'était tendu en entendant le Second Prince refuser la visite du médecin. Il était prêt parler, quitte à rompre son serment, mais fort heureusement, l'Empereur s'était montré intraitable. Il s'en réjouit.

« Général Kenryū, Firal Seiryū, fit Tegami en ramenant son attention sur eux, je vous remercie d'avoir pris soin de mon fils cadet et de me l'avoir ramené. »

Kenryū s'inclina, imité par son fils.

« Firal Seiryū, reprit l'Empereur, je suis navré que vous vous soyez retrouvé prisonnier. Vous avez toute ma gratitude pour avoir protégé mon fils même dans ces conditions.

Ah, je n'ai guère pu être utile, vraiment, » fit Seiryū en se sentant indigne de ces remerciements.

L'Empereur mit cela sur le compte de la modestie, ce qui embarrassa davantage Seiryū.


« Soyez sûrs que tout a été mis en œuvre pour comprendre ce qui s'est passé et pourquoi vous vous êtes retrouvés tous les deux à subir une telle épreuve. Mais il reste encore des zones d'ombre, alors je tiens à ce que vous veniez tous les deux devant le Conseil dans quelques heures raconter ce qui s'est passé et aussi comment vous vous êtes échappés, demanda l'Empereur. Je veux tout savoir. »

L'air déterminé, Tegami voulait comprendre les événements qui avaient failli le priver de ses deux fils. Kenryū opina du chef à côté.

« Sur ce sujet… le Second Prince saura vous expliquer mieux que moi, » biaisa le jeune homme.

Les deux hommes ne discutèrent pas, ce qui le soulagea.


~*~


De retour dans ses quartiers, Haruni s'était tout de suite rendu dans la salle d'eau afin d'examiner ses blessures loin des regards. Il avait pris avec lui des bandages et de l'onguent, ayant toujours un stock à disposition car il n'aimait pas consulter les médecins impériaux. Il savait que ces derniers rapporteraient la moindre de ses égratignures à l'Empereur, voire à d'autres personnes qui les payaient pour ça. En l'occurrence, il refusait que l'état alarmant de son bras soit connu.

« Tu as besoin de soins ! arguèrent les Dieux pour la millième fois.

Je vais me soigner ! répliqua-t'il. Il suffit juste de nettoyer la plaie, de la désinfecter et de bander le tout. Pas besoin de médecin pour ça ! »

Cela ne satisfaisait pas ses ancêtres, mais il ne s'en laissait pas conter.

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Quelques compresses avaient adhéré à sa plaie au bras. Il les humecta bien avant de le retirer, se rappelant tout à coup de la méthode moins douce du commandant Gorō. Les chairs étaient toujours purulentes et l'odeur était infecte. Haruni tenta de serrer le poing gauche, mais inspira brusquement à cause de la douleur qui remonta dans tout son bras, tel un éclair. Cette blessure était bien plus grave que ses plaies habituelles, alors le doute l'envahit un moment : faisait-il bien d'essayer de s'occuper seul de cette blessure ? Il hésita longuement, sans parvenir à se décider. Alors pour l'instant, il badigeonna son bras d'onguent pour désinfecter, vidant le pot, et banda le tout. D'une pensée, il mit le feu aux compresses souillées, cherchant à couvrir ses traces pour le moment.

« Je vais attendre quelques jours pour voir comment ça évolue, se dit-il, et puis on verra. »


Il se lava ensuite d'une main, se débarrassant de la poussière et la sueur du voyage. Il enfila une tunique d'intérieur à manche longue et se sentit bien mieux tout à coup. Il appela sa servante Mira pour qu'elle s'occupe de ses cheveux, une corvée qu'il lui laissait volontiers. Mira se pinça les lèvres en voyant l'état déplorable de la chevelure noire.

« Vous ne vous êtes pas lavé les cheveux depuis combien de temps, maître ? » demanda-t'elle d'un léger ton de reproche.

Haruni objecta :

« La dernière fois remonte à une semaine !

Et avant ça ?

 »

En voyant que l'adolescent ne disait plus rien, elle soupira et s'attela à la tâche. Elle dut faire appel à deux autres servantes, Hana et Muji, pour lui venir en aide, sinon cela aurait pris des heures.


Au moment où les cheveux de Haruni furent enfin dans un état convenable, Haka vint l'informer que le médecin était arrivé.

« Il n'a pas tardé, » commenta l'adolescent.

Il retourna dans la pièce principale où l'attendait l'un des médecins de la cour avec ses deux assistants.

« Votre Altesse, fit l'homme en le saluant, j'ai été chargé de vous examiner. Si vous voulez bien. »

Haruni ouvrit sa tunique pour dévoiler son torse. Le regard du médecin tomba aussitôt sur les griffures à son ventre. Haruni n'avait pas pu les bander car il avait tout utilisé pour son bras, mais cela ne le dérangeait pas dévoiler cette blessure qu'il avait déjà montrée à l'autre médecin.

« Quel animal était-ce ? s'enquit le docteur.

Un tigre, » répondit-il laconiquement.

Cela lui valut des regards effarés, mais pas de commentaire.


Le médecin nettoya la plaie avec soin, appliqua l'onguent, puis demanda à un assistant de la bander. Il tâta aussi les diverses ecchymoses de l'adolescent avant de les déclarer sans gravité. Haruni lui montra une autre griffure plus légère à la cuisse. Quant à ses plaies par sabre, elles avaient déjà commencé à guérir, alors il eut simplement droit à de la crème cicatrisante.

« Vous avez de la température, commenta ensuite le médecin.

J'ai déjà pris un remède contre ça, ainsi que les nausées.

Permettez que je vous prescrive un remède de mon propre crû, fit le docteur avec un claquement de langue dédaigneux. Les médicaments dont nous disposons ici sont bien plus efficaces. »

Haruni ne dit rien et le laissa faire. Il devait prendre cette décoction trois fois par jour.


« Ça ne me fera pas dormir ? demanda-t'il pendant qu'un assistant faisait chauffer le remède.

Pas spécialement, » répondit le docteur d'un ton négligent.

Haruni but le médicament qui était aussi amer que celui d'avant, puis congédia le docteur. Il s'était soigné, voilà qui devrait satisfaire les Dieux et l'Empereur !

« Maître, l'avertit Haka, votre père vous informe que le Conseil est prêt à écouter votre récit.

Soit, je vais m'y rendre. »

Il y avait de nombreuses choses dont ils devaient discuter, c'était sûr !






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