Chapitre Dix-huit : Le temple de Myūjin
Myūjin, huitième mois de l'année 2454
Le temple de Myūjin se trouvait sur les hauteurs d’une montagne, loin des villes et villages. Aucun bandit ne rôdait sur ces terres à cause de la crainte des Dieux et de l’absence de voyageurs réguliers. Il y avait aussi les moines qui patrouillaient régulièrement dans les environs, décourageant toute personne mal intentionnée de souiller la terre sacrée. Cela faisait partie de leur pratique religieuse. Haruni croisa justement une de ces patrouilles une heure après s’être aventuré dans la montagne. La dizaine de moines étaient vêtus d’orange et de blanc. Ils tenaient des lances à double pointe, l’arme typique des prêtres.
Comme Haruni avait le visage masqué par sa capuche pour se protéger du vent un peu frais, les moines ne le reconnurent pas et se montrèrent un peu vigilants face à ce voyageur. Ils se placèrent devant lui et l’un d’eux fit :
« Voyageur, que cherchez-vous en ces lieux ? »
Le cheval désignait Haruni comme un noble, sauf qu’il n’avait pas d’escorte. Les Ombres étaient restées à bonne distance durant tout le trajet, ce dont Haruni leur était gréé. Pour toute réponse, l’adolescent rabaissa sa capuche et et les moines écarquillèrent les yeux avant de se prosterner.
« Votre Altesse ! Pardonnez-moi, je ne savais pas que c’était vous !
– Ce n’est rien, fit Haruni. Je dois me rendre au temple.
– Le Très Saint a été averti de votre venue. Suivez-nous, nous allons vous conduire à lui ! »
Ce devait être l’Empereur qui avait envoyé un message au temple pour les avertir de leur venue, ou bien les Dieux en personne qui avaient informé Amonji. Dans tous les cas, cela arrangeait bien Haruni qui suivit les moines au trot.
La neige était tombée en montagne et le sentier blanc se couvrit de traces de bottes et de sabots. Les moines étaient chaudement vêtus, bien que le tissu était de simple facture. La prêtrise ne recherchait pas la fortune ici, contrairement aux prêtres Vites. Haruni approuva de tout cœur. Il n’avait jamais été élevé dans le matérialisme, ce qui pouvait étonner chez un prince impérial. Le temple se présenta bientôt à la vue. Haruni n’en avait jamais vu un et fut surpris de constater la similitude avec une forteresse : une haute enceinte protégeait une cour avec différents pavillons qui étaient à plusieurs étages, contrairement au palais de Kurojū. Le moine qui dirigeait la patrouille annonça le nom du Second Prince au pied des murs d’enceinte et les doubles portes en bois massif s’ouvrirent lentement, actionnées par un mécanisme. La cour intérieure fut dévoilée et Haruni y pénétra, son regard se posant tout autour de lui. Un jeune novice vint prendre sa monture et il descendit de cheval, se mordant les lèvres à cause du vertige qui s’ensuivit. Sa fièvre n’avait fait qu’augmenter, malgré les médicaments qu’il avait pris, même s’il avait diminué la dose durant le voyage.
Il jeta un coup d’œil en arrière pour guetter son escorte d’Ombres, mais ces derniers étaient invisibles. Sans doute considéraient-ils leur mission comme accomplie, ou bien ils allaient s’infiltrer dans le temple en cachette pour veiller sur lui. Dans tous les cas, il s’en moquait.
« Votre Altesse, fit un prêtre en s’inclinant devant lui, le Très Saint va vous recevoir. Si vous voulez bien me suivre. »
Haruni apprécia l’absence de cérémonie. Il n’avait pas de temps à perdre en mondanités. S’il l’avait pu, il serait allé directement trouver ce Kuji, mais il savait que ce serait un affront de ne pas saluer le Grand Prêtre en premier.
Le prêtre le conduisit dans un des pavillons. La décoration était sobre, mais harmonieuse. Le Grand Prêtre méditait dans une vaste salle, assis en tailleur sur une estrade, entouré de braseros qui réchauffaient l'ambiance hivernale. Il ne quitta pas tout de suite sa méditation à l'entrée du Second Prince. Ce dernier en profita pour l'observer. Comme tous les prêtres, Amonji avait le crâne rasé. Il était assez âgé, mais son corps était encore robuste. Son habit orange et blanc ne différait guère de celui des autres prêtres et seule une ceinture noire indiquait son rang prestigieux.
Œuvre originale écrite par Karura Oh. Lisez sur mon site http://karuraoh.free.fr. Si vous la voyez sur un autre site, c'est qu'ils ont volé mon histoire !
Amonji finit par ouvrir les yeux et ne manifesta aucune surprise en voyant Haruni. Son mince visage s'orna d'un sourire bienveillant.
« Votre Altesse, fit-il en s'inclinant légèrement, c'est un honneur de vous recevoir en ces lieux.
– Très Saint, répondit Haruni en lui rendant son salut, veuillez m'excuser de ma brusque visite.
– Vous êtes le bienvenu ici à tout moment, » assura Amonji.
Le prêtre qui avait mené Haruni ici aida le Grand Prêtre à se relever.
« Hōki, prépare-nous du thé.
– Bien, Très Saint. »
L'homme sortit pour transmettre les ordres aux moines de service.
Amonji ramena son attention sur Haruni et bien qu'il nota son allure maladive et fatiguée, il ne dit rien pour le moment.
« Vous devez être las après votre voyage, votre Altesse, fit-il avec tact. J'imagine qu'une visite des lieux n'est pas urgente.
– Effectivement, Très Saint, mais c'est aussi parce que je suis venu dans un but bien précis.
– Ah, l'impatience de la jeunesse, » sourit le vieux prêtre avec indulgence.
Ce n'était pas une question de patience, mais Haruni ne protesta pas et fixa simplement le Très Saint sans rien dire. Cela fit rire le prêtre.
« En quoi puis-je être utile à votre Altesse ? s'enquit-il alors.
– Je voudrais parler à l'un de vos moines, Kuji. C'est lui qui…
– … était assigné pour s'occuper de vous, je sais. »
Hōki revint avec le thé, accompagné de deux moines qui portaient une table basse. Amonji les laissa installer le tout, puis fit à Hōki :
« Fais appeler Kuji. »
Le prêtre s'inclina et envoya l'un des deux moines exécuter cet ordre. Amonji invita Haruni à s'asseoir en face de lui. Hōki les servit avant de reculer de plusieurs pas.
« Comment vous portez-vous, votre Altesse ? » s'enquit Amonji en prenant la tasse chaude entre ses mains.
Au regard vif de l'adolescent, il ajouta :
« J'ai entendu parler de vos péripéties à Dekita.
– Mmm, je m'en remets, répondit Haruni en buvant un peu de thé.
– Dire que vous avez déjà eu votre lot d'épreuves et que cela continue encore, » soupira Amonji.
Haruni plissa ses yeux dorés. Le Très Saint était forcément au courant de son identité en tant que Yama, même si cela n'avait jamais été dit formellement. Au moment de la guerre contre les Hikari, l'Armée Divine avait prêté main-forte à Madare… non, plus précisément au général Yama. Et le prêtre Gugonjū, un personnage des plus irritants, n'avait cessé de faire des sous-entendus peu subtils au sujet de la véritable identité de Yama.
« Que savez-vous exactement ? demanda-t'il néanmoins.
– Vous n'avez pas à vous méfier de moi. Nous sommes les serviteurs des Dieux, donc de Leurs descendants.
– Ce n'est pas de la méfiance, expliqua Haruni. C'est juste que mon passé doit rester secret, alors je n'en parle pas ouvertement à n'importe qui.
– Même si je pense qu'il est regrettable de cacher cela, je me plierai à la volonté de son Altesse. »
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Quelque chose — peut-être la fièvre ou peut-être l'aura rassurante qui émanait du vieil homme — poussa Haruni à préciser :
« C'est mon père qui souhaite que cela reste secret.
– L'Empereur a certainement ses raisons. »
Haruni renifla de mépris. Il connaissait les raisons de son père et ne les approuvait pas du tout.
« Puis-je vous demander la raison pour laquelle vous souhaitez voir Kuji après tout ce temps ? » s'enquit Amonji.
La question remit l'adolescent sur ses gardes.
« C'est une affaire personnelle, Très Saint. Sans vouloir vous offenser.
– Je comprends, votre Altesse. Pardonnez ma curiosité. »
Haruni acquiesça, mais les ombres protestèrent :
« Comment tu comptes agir sans l'accord de Notre prêtre ?
– Je veux d'abord parler à Kuji, » songea-t'il en serrant les dents.
Le Grand Prêtre pencha la tête sur le côté au même moment, un sourire ravi aux lèvres. Haruni fut pris d'un doute.
« Il peut Vous entendre ?
– Seulement si Nous le voulons. »
Avant que le Second Prince ne puisse formuler ses soupçons, Amonji déclara :
« La présence des Dieux est toujours aussi forte autour de vous, votre Altesse.
– Vous pouvez… Les sentir ? demanda-t'il.
– Naturellement, comme tous les Grands Prêtres. »
Haruni se demanda si cet homme n'avait pas un peu de pouvoir des ombres en lui, ou du moins une certaine affinité. Cela expliquerait sa sensibilité à la présence des Dieux.
Un moine revint à ce moment-là, accompagné d'un autre moine d'environ soixante-dix ans qui débordait d'excitation. Ce fut tout juste s'il ne se jeta pas aux pieds du Second Prince en se prosternant.
« Votre Altesse ! L'humble Kuji est votre servant dévoué ! »
Haruni ne sut que dire devant une telle manifestation. Amonji sourit avec indulgence, tandis que Hōki prit un air agacé.
« Kuji, fit Amonji, le Second Prince est venu te voir.
– C'est trop d'honneur ! s'écria le moine sans relever la tête. Je ne mérite pas l'attention de son Altesse !
– Tu peux te relever, Kuji, fit Haruni, un peu gêné.
– Je ne mérite pas de me relever en présence de son Altesse ! » répliqua aussitôt le moine.
Cela devenait extrêmement embarrassant. Haruni retint un soupir et commanda d'un ton ferme :
« Kuji, relève-toi.
– Oui, votre Altesse ! » obéit le moine en se redressant aussitôt, comme un soldat au garde-à-vous.
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Un silence s'ensuivit. Haruni songea que ce serait pénible d'avoir affaire à cet homme mais selon les Dieux, il était sa seule chance. Cela restait à voir !
« Très Saint, fit Haruni en inclinant la tête en direction d'Amonji, si ce n'est pas trop vous demander, me serait-il possible de discuter en privé avec Kuji ? »
L'interpellé prit un air ébahi, tandis que le Grand Prêtre fixa Haruni d'un air impassible.
« Naturellement, votre Altesse. »
Quelque part, Haruni avait conscience d'enfreindre de nombreuses règles de politesse, mais il n'était guère en état d'attendre patiemment et de tourner autour du pot. Il voulait savoir au plus vite si son déplacement ici serait utile ou pas.
« Très Saint ! intervint Kuji avec enthousiasme. Je peux faire visiter le temple à son Altesse !
– Kuji, voyons. Son Altesse a fait tout le chemin depuis Kurojū. Il est fatigué du voyage, » le réprimanda gentiment le Très Saint.
On aurait dit qu'il avait affaire à un enfant, bien que Kuji avait dépassé la majorité.
« Alors juste un petit tour ? insista le moine en prenant un air suppliant. Les jardins, l'infirmerie, la bibliothèque, le…
– Cela me convient, » coupa Haruni qui avait retenu le mot “infirmerie”.
Cela lui permettrait d'aborder plus facilement le sujet de sa blessure. Kuji prit un air si extatique que Amonji dut concéder :
« Comme vous voulez, votre Altesse. Resterez-vous dîner et pour la nuit ?
– Avec plaisir, Très Saint. »
Haruni se leva pour emboîter le pas à Kuji qui bondissait presque de joie. Hōki secoua la tête en les voyant partir.
« Kuji va nous reparler de cette visite pendant des années, soupira-t'il.
– Allons, Hōki, c'est normal que ce garçon éprouve un lien particulier avec son Altesse.
– Sauf que c'est quasiment de la vénération ! Ce n'est pas sain.
– Il adore le Second Prince comme nous adorons les Dieux. Je ne vois pas tant de différence que ça. »
Hōki ne dit rien de plus, mais il était clair qu'il désapprouvait et qu'il se faisait du souci pour ce moine exalté.
Kuji était visiblement très fier de montrer les lieux au Second Prince. Il parlait d'une voix forte et enthousiaste, et un immense sourire était plaqué sur ses lèvres. Assez souvent, il se retournait vers le visiteur comme pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Haruni endura tout cela avec patience. Ils croisèrent de nombreux prêtres et moines qui s'inclinèrent avec révérence devant le Second Prince. La fierté de Kuji augmentait à chaque fois. S'il avait été un chien, sa queue aurait frétillé sans arrêt.
« Votre Altesse sait que j'ai eu l'immense honneur de m'occuper de vous pendant des années !
– Hum, oui. Désolé pour le désagrément.
– Pas du tout, votre Altesse ! Cela a été pour moi un privilège et un honneur de vous voir grandir. Et quand je vous vois à présent… je me sens comme une mère !
– Et pas un père ? » songea Haruni en plissant le front.
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Le moine agité poursuivit :
« Tous les jours pendant vingt-cinq merveilleuses années, je vous ai nourri, lavé, changé et je vous ai fait faire des exercices d'étirement…
– Oui, j'ai compris.
– Je vous avoue que je ne suis pas peu fier des résultats ! Ah, pardonnez-moi, je ne voulais pas me montrer si audacieux ! »
Il se prosterna aussitôt devant Haruni, tout penaud. Ce dernier retint un soupir.
« C'est bon, c'est bon, relève-toi.
– Votre Altesse, vous êtes si bon ! s'écria Kuji en se redressant. J'étais là quand vous avez ouvert les yeux pour la première fois et j'ai pu voir votre lumière transparaître ! »
Haruni se figea, confus. De la lumière ? Lui-même ne se souvenait plus de ce moment où les Dieux l'avaient obligé à réintégrer son corps. Il savait juste qu'il s'était beaucoup débattu, pris de folie.
« Votre Altesse, reprit Kuji avec un doux sourire, vous êtes destiné à de grandes choses, je le sais. Sachez que l'humble Kuji n'aspire qu'à vous servir !
– Hum, j'en prends note, » fit Haruni, ne sachant que dire d'autre.
De toute évidence, Kuji éprouvait une immense loyauté à son égard du fait qu'il avait pris soin de son corps pendant des années. Haruni ne le comprenait pas et préféra se concentrer uniquement sur la raison de sa venue.
« Kuji, tu as parlé de l'infirmerie, lui rappela-t'il.
– Ah oui ! C'est mon endroit préféré ! J'étudie sous la houlette du prêtre guérisseur depuis des années. Le Saint Maru est très doué et il fait des recherches en médecine. Je rêve de lui succéder un jour, sauf que… »
Le moine se tut et se mordilla les lèvres, tout à coup très triste et abattu. Intrigué, Haruni lui demanda :
« Sauf que ?
– Le Saint Maru dit que mon esprit part dans tous les sens, confia Kuji d'une voix faible, et que mes idées sont trop insensées.
– Ah… »
Haruni compatit, vu qu'il était souvent dans la même situation. L'Empire de l'Aube n'aimait pas les innovations.
« Montre-moi l'infirmerie, » fit Haruni pour lui remonter le moral.
Cela rendit le sourire au moine qui repartit d'un pas vif.
L'infirmerie du temple ressemblait au pavillon des docteurs impériaux de Kurojū : des meubles jusqu'au plafond avec des tiroirs contenant des herbes séchées, des étagères de livres consacrés à la médecine, du matériel pour préparer les onguents et cataplasme, des compresses et autres ustensiles. Un prêtre âgé était assis à un bureau et étudiait un parchemin en prenant des notes sur une feuille de papier. Il leva la tête à l'arrivée de Kuji et fronça les sourcils.
« Qu'est-ce que tu veux encore, Kuji ? Je t'ai déjà chassé trois fois d'ici aujourd'hui ! »
Il semblait que Kuji n'était vraiment pas apprécié. Le moine baissa la tête avec humilité, mais avec un sourire aux lèvres.
« Saint Maru, je m'excuse de vous déranger, mais le Second Prince a souhaité visiter l'infirmerie.
– Quelle fable tu me racontes là ? Espèce de… »
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Les mots moururent sur les lèvres du prêtre lorsque Haruni entra à son tour. Il se prosterna, comme tous les autres moines et prêtres présents dans l'infirmerie.
« Votre Altesse ! fit Maru avec effarement. Toutes mes excuses, j'ignorais que vous étiez là !
– Ce n'est pas faute de vous l'avoir dit, Saint Maru, » fit Kuji qui se réjouissait en cachette.
Pour lui, c'était comme si le Second Prince était venu exprès afin de punir tous ceux qui méprisaient Kuji. C'était une revanche dont il avait longuement rêvé et qu'il savourait pleinement.
« Tu peux te relever, Saint Maru, » fit Haruni.
Le prêtre s'exécuta. Il garda un air ébahi.
« En quoi puis-je servir votre Altesse ?
– Ah… Je souhaite m'entretenir seul avec Kuji ici. Serait-il possible de…
– Je m'en vais tout de suite, votre Altesse ! »
Haruni se sentit un peu mal de chasser le prêtre de son domaine, mais c'était nécessaire. Kuji ne cacha pas son triomphe en voyant le guérisseur et les autres ranger précipitamment leur bureau avant de les laisser.
« Kuji, fit Haruni en le rappelant à la réalité, tu as dit que tu étudies la médecine depuis des années. Quel est ton niveau ?
– Je suis le plus ancien des apprentis du Saint Maru. Je l'ai assisté dans de nombreux soins ! » répondit le moine avec fierté.
Cela semblait corroborer ce qu'avaient dit les Dieux. Haruni hocha la tête avant de continuer :
« Tu as donc l'habitude de traiter des blessures.
– Oui, votre Altesse ! »
Satisfait, Haruni se lança :
« Kuji, tu dois d'abord jurer sur les Dieux de ne révéler à personne ce dont je vais te parler. Est-ce bien compris ?
– Bien sûr, votre Altesse. Je le jure sur les Dieux ! »
L'empressement du moine était des plus inquiétants, sauf que Haruni ne pouvait guère s'en soucier.
« Je souhaite ton avis sur une blessure que je me suis faite, commença-t'il.
– Je sais, au bras gauche, acquiesça Kuji. Elle est infectée et cela provoque de la fièvre et des élancements. »
Devant le regard stupéfait de l'adolescent, le moine eut un sourire penaud.
« Dès que je vous ai vu bouger, j'ai tout de suite remarqué votre gêne au bras. Pour la fièvre, je le vois à vos pupilles dilatées et à votre visage un peu rouge. Vous avez également des vertiges par moment.
– … Tu es bien observateur, Kuji, commenta Haruni qui n'en revenait pas.
– Ah, pas vraiment. C'est juste que je me suis occupé de votre corps pendant si longtemps que je peux dire que je le connais mieux que vous ! Ha ha ha ! »
Un frisson parcourut Haruni, comme une sensation des plus désagréables.
« Ne redis plus jamais cela, lui ordonna-t'il d'un ton consterné.
– … Pardonnez-moi, votre Altesse. On me dit toujours que je ne réfléchis pas assez avant de parler. »
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Devant l'air contrit du moine, Haruni préféra passer à autre chose.
« Bon, tu as raison pour mon bras. Je voudrais que tu l'examines et que tu me donnes ton opinion.
– Ce sera un honneur, votre Altesse !
– Mais je dois te prévenir, ce n'est pas beau à voir.
– Ne vous en faites pas, votre Altesse. J'ai déjà vu bien des plaies horribles ! »
L'enthousiasme de ce jeune homme semblait sans limites. Haruni n'insista pas et commença à défaire sa tunique. Voyant qu'il avait du mal avec une seule main, Kuji proposa ses services :
« Laissez-moi faire. Après tout, je vous habillais quand vous étiez petit !
– Kuji, ne reparle plus jamais de ça non plus. »
Se confondant en excuses, le moine fut néanmoins efficace pour le déshabiller, ne laissant que son pantalon.
Il se mit à défaire le bandage qui couvrait tout le bras gauche. Dès qu'il retira les premières compresses souillées, son sourire disparut d'un coup.
« Comment vous vous êtes fait ça ?! s'écria-t'il.
– Tu as besoin de le savoir pour me soigner ?
– Bien sûr, c'est capital ! »
Haruni soupira avant de répondre :
« J'ai utilisé la magie de l'eau alors que ce n'est pas mon élément. J'ai perdu le contrôle et ça s'est retourné contre moi. »
Kuji le fixa, bouche bée, mais il ne commenta pas. Il déglutit et finit de découvrir la terrible blessure. Il prit un air plus que soucieux.
« De quand ça date ?
– Plus d'un mois.
– L'infection est très avancée. Que s'est-il passé ?
– Ah ! »
Haruni eut un bref rire moqueur à ce souvenir.
« Celui qui m'a retenu prisonnier a jugé qu'il fallait laisser la plaie à l'air libre pendant que j'étais en cellule. »
Kuji en frémit d'indignation.
« Quelle enflure ! Oh, pardonnez-moi, votre Altesse. »
Haruni secoua la tête.
Kuji reprit son examen de la plaie. Il semblait nettement plus mûr et concentré en faisant ça, ce qui rassura le Second Prince. Malgré ses airs de jeune chiot, ce moine s'y connaissait vraiment. Avec la permission de Haruni, Kuji nettoya la plaie en profondeur. Il la lava avec de l'eau infusée de karu, une plante aux vertus désinfectantes. Il retira les poches de pus le plus doucement possible et sonda la plaie à la recherche de peau restante… Haruni s'était heureusement assis sur une chaise juste avant, car la douleur vive et intense le laissa sans force et en sueur. Il nota néanmoins que le visage du moine s'assombrissait de plus en plus. Finalement, Kuji remit de l'onguent pour désinfecter et banda de nouveau la plaie sans un mot. Haruni eut un sourire ironique et lança :
« Alors ? Mon bras est perdu ? »
Kuji tressaillit et leva les yeux de son travail, décontenancé.
« Vot-votre Altesse… je…
– Dis-le moi, c'est tout. »
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Kuji se mordit les lèvres avant de déclarer avec réticence :
« L'infection est très avancée, j'ai bien peur que la peau ne soit plus saine du tout. Le problème aussi, c'est que le côté gauche est le côté du cœur. Vous voyez les lignes rouges qui partent de votre épaule ? C'est l'infection qui se répand vers le cœur. Et une fois qu'elle l'aura atteint… »
Il déglutit, mais se força à finir :
« Cela prendrait trop de temps pour éliminer l'infection. Dans ce cas, il est préférable d'amputer le bras avant qu'il ne soit trop tard. »
Comme Haruni s'y était préparé, il prit la nouvelle sereinement.
« Je comprends. Merci pour ton aide, Kuji.
– Mais je ne vous ai aidé en rien ! fit ce dernier en baissant piteusement la tête. Pardon. »
Haruni lui adressa un sourire calme et commença à remettre sa tunique.
« Ne t'en fais pas pour ça. Les Dieux Se sont trompés, c'est tout. »
Alors que les ombres s'agitaient d'indignation, Kuji prit un air perplexe.
« Votre Altesse, que voulez-vous dire ?
– Ce sont Eux qui m'ont dit de venir te trouver. D'après Eux, tu étais ma seule chance de conserver mon bras. Mais bon, il faut croire que même les Dieux ne sont pas infaillibles !
– Attends un peu ! Les Alternatives sont très claires là-dessus !
– Vous l'avez entendu comme moi, non ? répondit mentalement Haruni. Il ne peut pas m'aider. »
Pendant ce dialogue silencieux, Kuji réfléchissait avec frénésie, ses yeux vacillants.
« Non, ça ne peut pas être ça ?! » marmonna-t'il.
Il saisit tout à coup la main du Second Prince et le fixa avec empressement :
« Votre Altesse, si les Dieux vous ont conduit à moi, c'est peut-être à cause de mes recherches en cours. Sauf que c'est… très particulier…
– Des recherches ? s'enquit Haruni. Raconte-moi. »
Ignorant les Dieux qui répétaient en boucle “On te l'avait bien dit !”, Haruni suivit Kuji jusqu'à une table au fond de l'infirmerie. Un peu timidement, le moine expliqua :
« Je vous ai dit que mes idées sont toujours critiquées par le Saint Maru. Celle-ci, je n'ai même pas osé lui en parler. C'est assez… bizarre, même pour moi. »
Haruni ne commenta pas et attendit qu'il poursuive. Kuji farfouilla parmi les pots en céramique sur le bureau. Il fallait savoir que dans l'Empire de l'Aube, le verre était totalement inconnu.
« Ah, les voilà ! »
Il souleva un pot et ouvrit le couvercle pour en montrer le contenu au Second Prince. Haruni vit une masse blanche s'agiter et il ne masqua pas sa surprise.
« Des asticots ? s'écria-t'il.
– Oui, ils apparaissent sur les cadavres qui ne sont pas brûlés, comme les animaux.
– Je connais. »
Les Vites enterraient leurs morts. Les hérétiques aimaient déterrer les cadavres pour prendre des trophées macabres ou accomplir de sombres rites. En tant qu'Archange ou dans la Géhenne, Haruni avait vu sa part de corps à divers stades de décomposition.
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Masquant sa surprise, Kuji continua son explication :
« En fait, les asticots se nourrissent uniquement de chair morte. Alors j'ai pensé que dans le cas de chair nécrosée sur une plaie, ils pourraient être plus efficaces que les méthodes de coupe traditionnelles. »
Haruni commença à avoir une sombre prémonition.
« Tu veux… couvrir mon bras d'asticots pour qu'ils nettoient la plaie ? »
Kuji laissa échapper un rire nerveux.
« Je vous ai dit que c'est une idée insensée ! »
Haruni fixa de nouveau la masse grouillante au fond du pot et approuva de tout cœur. L'idée même d'avoir des asticots sur son corps était trop dégoûtante, cela rappelait trop la mort.
« Tu as déjà testé cette méthode ? demanda-t'il néanmoins.
– Je n'ai trouvé aucun volontaire. Le Saint Maru s'est fâché à force et m'a demandé de ne plus déranger les blessés. J'ai voulu essayer sur un chien blessé que j'avais trouvé dans la forêt, mais il s'est mordillé la plaie jusqu'au sang à cause des vers. Alors j'ai testé sur moi, en laissant volontairement une coupure s'infecter.
– Et ?
– Cela a fait effet, comme avec le traitement traditionnel. »
Haruni restait sceptique et réticent.
« Les vers n'ont pas… continué à envahir ta peau ?
– Ils ne mangent pas la chair vivante ! En plus, je les retirais une fois par jour pour inspecter ma blessure et noter les progrès. »
Fort de toutes ces informations, Haruni réfléchit un moment.
« C'est donc ça, Votre traitement ? » lança-t'il mentalement aux Dieux.
Ils ne répondirent pas. L'adolescent soupira.
« Est-ce que ça fonctionnerait dans mon cas ? » demanda-t'il.
Kuji lui adressa un regard compliqué.
« Je l'ignore, votre Altesse. Votre blessure est très étendue et l'infection très avancée. Les vers travaillent à peine un peu plus vite que le traitement traditionnel, alors le risque pour votre vie demeure inchangé.
– Nous continuerons à retarder l'infection, firent soudain les Dieux.
– Continuer ? releva Haruni.
– Cela fait des semaines que Nous la ralentissons. »
Ils pouvaient même agir sur son corps ? Autrefois, Haruni aurait trouvé ça très inquiétant mais à présent, il s'était résigné à l'idée de son lien particulier avec les Dieux et impossible à rompre.
« Cela ne sera pas un problème, assura-t'il à Kuji.
– Mais si, votre Altesse, protesta le moine, c'est le plus grave des problèmes !
– Les Dieux vont retarder l'infection. »
Bizarrement, Kuji ne sembla pas surpris outre-mesure.
« Ah, alors dans ce cas, nous avons une chance. Mais encore faut-il que le Très Saint donne son accord. »
C'était précisément le point que Haruni aurait souhaité éviter. Il hasarda donc :
« Sommes-nous vraiment obligés de lui en parler ? Je préférerais que cela reste secret. »
Les secrets étaient comme des mensonges et Haruni s'en voulait d'entraîner Kuji là-dedans. Cependant, sa blessure ne devait pas se savoir.
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Kuji prit un air ennuyé.
« Votre Altesse, je ne vais pas pouvoir vous traiter en secret. Tout d'abord, cela va prendre des semaines, voire des mois pour une guérison totale, si cela fonctionne. Ensuite, vous allez devoir rester alité au départ jusqu'à ce que l'infection commence à se résorber. Vous comprendrez qu'il serait difficile de dissimuler tout ceci. »
Ses paroles étaient raisonnables. Haruni se consola en se disant que de toute manière, les prêtres n'étaient pas en contact avec les nobles de Kurojū et ne pourraient donc pas leur passer la nouvelle. Au pire, il les ferait jurer sur les Dieux afin de s'assurer de leur silence.
« D'accord, céda-t'il, allons en parler au Très Saint. »
Kuji acquiesça avec un enthousiasme mitigé. D'un côté, il n'arrivait pas à croire que sa théorie allait enfin être mise en pratique. Si cela fonctionnait, même le Saint Maru serait obligé de reconnaître ses talents de guérisseur. Mais d'un autre côté, il s'inquiétait du fait de ne pas réussir à sauver le bras du Second Prince.
« Si jamais ça échoue, se jura-t'il, je me couperai le bras en signe de contrition ! »
Note de Karura : Je ne suis pas médecin et je me suis juste renseignée un peu sur Internet au sujet du traitement des plaies par des vers. Il va forcément y avoir des inexactitudes, alors que les petits enfants n'essaient pas de faire pareil à la maison 😁
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