Prisonnier du Temps 13

Chapitre Treize : Une mission urgente


Béphélius avait depuis longtemps l'habitude de son indifférence affichée alors il n'y faisait plus attention.

Il baissa les yeux, saisit le col de Vanain, déposa un bref baiser sur les lèvres de l'Elfe Noir et murmura :

« Sauf si je dois absolument avoir une descendance... Même si je dois me marier plus tard, je ne laisserai personne me faire ce genre de choses. Ce sera uniquement avec toi. »

Vanain en resta abasourdi un moment puis sa pomme d'Adam tressauta involontairement. Il baissa les yeux et ses yeux rouge rubis étaient remplis d'un noir d'encre.

Il ressentait une immense joie dans son cœur ainsi qu'un désir incontrôlable.

Il embrassa le prince en retour, sans un mot.

C'était inutile de s'en faire pour ça.

Il ne lui laisserait jamais l'occasion d'épouser un autre ou de se rapprocher de qui que ce soit, tout comme il ne le laisserait jamais avoir d'enfant avec une autre.

Il n'appartiendrait qu'à lui seul, du début à la fin.

Mais bientôt, Béphélius n'eut plus le temps de penser à avoir des enfants ou des amants, il se soucia seulement de rendre heureux son Elfe Noir.

En fait, il n'avait pas besoin de beaucoup le cajoler. C'était Vanain qui le cajolait la plupart du temps. Quant à lui, il taquinait l'autre quand l'envie lui en prenait.


* * *


L'armée de répression envoyée par les Elfes de Lumière échoua de nouveau et les familles Narci et Manda se disputèrent une fois encore en se renvoyant la faute. Ils étaient toujours convaincus que leur défaite n'était pas due aux Elfes Noirs ennemis mais à l'autre adversaire qu'étaient leurs camarades de combat.

Cette fois, le roi des Elfes comprit qu'il avait pris la mauvaise décision. Il n'aurait pas dû renvoyer les Manda en renfort sans avoir d'abord découvert les raisons de la première défaite. Deux échecs de deux familles majeures suffirent à l'alerter.

Il envoya ses propres troupes pour enquêter dans le plus grand secret et les résultats obtenus dépassèrent de loin son imagination. Lui qui avait toujours été gracieux et confiant en tant que dirigeant ne put s'empêcher d'être choqué.

Après avoir tergiversé une nuit entière, le roi des Elfes emmena finalement son fils, Béphélius, pour consulter son père, Archille.

L'endurance physique d'Archille n'avait bien sûr plus rien à voir avec celle du roi des Elfes, qui était dans la force de l'âge. Par contre, son expérience et ses connaissances engrangées pendant plus de deux cents ans surpassaient de très loin celles de Béphélius et du roi des Elfes. C'était justement pour cela que, même si Béphélius n'était pas souvent du même avis que son grand-père, il finissait toujours par l'écouter en général.


« Tu dis que les Elfes Noirs qui se sont rebellés ont des pouvoirs cette fois ? » fit Archille en fixant son fils, le roi des Elfes actuel.

Ils n'étaient que trois assis dans l'étude qui n'était pas bien grande, représentant trois générations — passées, présentes et futures — des dirigeants elfiques. Un sort de protection magique de haut niveau était incorporé à la pièce, empêchant quiconque d'espionner.

Après tout, ce dont ils discutaient n'était ni plus ni moins que le plus grand secret des Elfes, une question de vie ou de mort pour les Elfes de Lumière. Si la nouvelle venait à se répandre, cela causerait une énorme panique et ébranlerait aussitôt les fondations du règne de la famille royale.

« Oui, » répondit le roi des Elfes en baissant la tête, honteux.

À cause de son arrogance, il avait mis trop de temps à découvrir cette situation et il était presque trop tard à présent.

« C'est impossible. »

Archille secoua la tête en signe de dénégation, les yeux remplis d'incrédulité.


Comme tous le savaient, dans la mythologie, au commencement de la Création, l'Arbre de la Vie naquit. Ce fut lui qui différencia la lumière des ténèbres, créant ainsi le jour et la nuit. De lui naquirent les Elfes de Lumière et les Elfes Noirs, ainsi que toute chose en ce monde.

C'était l'Arbre de la Vie qui octroyait aux Elfes Noirs leur pouvoir destructeur et aux Elfes de Lumière leur pouvoir de guérison.

Les deux races elfiques vécurent longtemps en harmonie puis le monde entra peu à peu dans l'Âge Sombre, durant lequel les Elfes Noirs régnèrent en maître et opprimèrent les Elfes de Lumière.

Parmi les différentes versions de la légende qui circulaient de nos jours chez les Elfes de Lumière, la plus largement acceptée était que l'Arbre de la Vie avait senti les larmes et entendu les cris des Elfes de Lumière, et qu'il avait repris aux Elfes Noirs leurs pouvoirs pour les sceller en lui. Cela permit aux Elfes de Lumière de renverser la tyrannie et l'esclavagisme des Elfes Noirs et d'instaurer alors une nouvelle ère.


En tant que chefs suprêmes des Elfes de Lumière, Archille et le roi des Elfes savaient que cela ne s'était pas déroulé ainsi et ils étaient en possession de certains secrets qui avaient sombré dans l'oubli depuis fort longtemps.

Par exemple, il n'y avait pas que les Elfes Noirs qui avaient perdu leurs pouvoirs : les Elfes de Lumière avaient également perdu du jour au lendemain les pouvoirs conférés par l'Arbre de la Vie.

Malgré tout, durant leur oppression, les Elfes de Lumière s'étaient lancés dans l'étude de la magie qui utilisait le pouvoir de la lumière pour combattre, dans le but de résister aux Elfes Noirs. Ces sorts ne valaient rien contre les Elfes Noirs dans leur apogée mais lorsque les deux races perdirent leurs pouvoirs, ils avantagèrent grandement les Elfes de Lumière et leur permirent de vaincre les Elfes Noirs et de prendre le pouvoir.


Par conséquent, le pouvoir que les Elfes de Lumière transmirent aux générations futures avait toujours été l'utilisation de la magie de lumière et non le vrai pouvoir conféré autrefois par l'Arbre de la Vie. Cependant, au fil du temps, fortement incités par les rois, le peuple des Elfes de Lumière avait entièrement oublié ce détail et considérait à tort la magie de lumière comme le véritable pouvoir conféré par l'Arbre de la Vie. Seule une poignée de rois connaissait encore la vérité.

Si les rois avaient caché cette vérité, c'était dans un but tout simple : si les Elfes pensaient tous que ce pouvoir était un don du ciel alors ils ne prendraient plus la peine de l'étudier pour le maîtriser. Par conséquent le roi, qui détenait la vérité sur l'origine de ce pouvoir, pouvait employer des gens qui étudieraient en secret ce pouvoir et la manière de le faire évoluer. De cette façon, le roi aurait toujours accès à la forme la plus aboutie et puissante de cette magie.


« Il n'y a que deux possibilités, fit le roi des Elfes en faisant les cent pas dans l'étude avec nervosité. Soit ils ont vraiment récupéré le pouvoir de l'Arbre de la Vie, soit ils ont découvert une autre méthode pour accéder à des pouvoirs, comme nous. »

Si les Elfes Noirs avaient découvert une autre source de pouvoir ces dernières années, ils devraient alors concentrer leurs efforts pour éliminer tous les Elfes Noirs au courant de la méthode avant que les autres Elfes Noirs ne l'apprennent. Le roi des Elfes avait déjà organisé cela et envoyé sa force d'élite secrète se débarrasser des Elfes Noirs de la rébellion.

Mais cela ne suffisait pas à les rassurer. L'Arbre de la Vie était la clé de tout. Ils devaient envoyer quelqu'un de confiance pour vérifier l'Arbre de la Vie. Pendant presque dix mille ans, la Forêt de la Vie, où se trouvait l'Arbre de la Vie, appartenait au territoire des Elfes de Lumière. C'était un des endroits interdits, aucun Elfe ne pouvait s'en approcher. Et les rois se moquaient bien de faire savoir aux autres qu'ils ne faisaient confiance à personne.


Au bout du compte, il fut décidé que Béphélius partirait sur-le-champ et conduirait lui-même des hommes dans la Forêt de la Vie afin de vérifier l'état de l'Arbre de la Vie, sous un faux prétexte.

Béphélius n'opposa aucune objection. Il avait toujours joui d'un haut statut, des meilleures ressources et du plus grand pouvoir de par son statut d'héritier alors quand il le fallait, il n'hésitait pas à accomplir son devoir. Un homme devait assumer ses responsabilités.

Il savait aussi que ce voyage comportait une grande part de risque alors il sourit et dit au roi des Elfes en sortant du palais d'Archille :

« Si je ne reviens pas, nommez une nouvelle reine. »


Le roi des Elfes avaient de nombreux amantes et ne manquait pas d'enfants illégitimes. Néanmoins, ces amantes et leurs enfants n'avaient aucun titre et statut propres, alors bien entendu ils n'avaient aucun droit de prétendre au trône. Par contre, s'il nommait une nouvelle reine, alors les enfants de celle-ci auraient les mêmes droits que Béphélius en matière de succession. Le roi des Elfes n'avait pas sauté le pas depuis tout ce temps, à la fois pour garantir une stabilité politique et aussi pour protéger indirectement la position de Béphélius.

Le roi des Elfes lança un regard sévère à son fils et répliqua :

« Ne fais pas l'imbécile. »

Il ne put s'empêcher d'ajouter pour son héritier :

« … Sois prudent. Je vais nommer les plus fidèles et valeureux guerriers pour t'escorter. »

Sur ce, il se détourna et partit.

Béphélius sourit, monta dans son carrosse et rentra chez lui.


* * *


Vanain se tint à la porte pour l'accueillir, comme à son habitude, et lui fit revêtir des vêtements d'intérieur bien plus confortables.

Béphélius en profita pour saisir sa main, la porter à ses lèvres et déposer un baiser dessus. Il murmura :

« Bébé, je dois m'absenter un long moment. Attends-moi bien sagement à la maison, ne va nulle part. J'ai peur que sans personne pour te protéger, ces idiots aveugles ne s'en prennent à toi. »

Il tendit la main pour caresser la joue de Vanain, se sentant très réticent à l'idée de partir.

Cette fois, il était bien plus inquiet pour son Elfe Noir.

Ce ne serait pas grave s'il ne partait qu'un temps, mais que se passerait-il s'il ne revenait vraiment jamais ? Comment serait alors traité son Elfe Noir ? Comment ferait-il pour éviter les gens mal-intentionnés qui le désiraient ? Se ferait-il maltraité par les autres ?

Il avait beau le choyer, aux yeux des autres, Vanain ne serait jamais rien d'autre qu'un bien laissé par le prince Béphélius.


« … Je regrette vraiment de ne pas t'avoir donné un enfant et ensuite prétendu que c'était l'enfant que tu avais conçu pour moi, marmonna Béphélius en caressant son visage. Ainsi cet enfant serait mon unique héritier de sang. Même s'il ne pourrait pas hériter du trône, au moins les gens n'oseraient pas te manquer de respect. »

Tant que les Elfes consommaient les fruits de l'Arbre de la Vie, ils pouvaient donner naissance, indépendamment de leur genre, mais la plupart des Elfes de Lumière se refusaient à concevoir des enfants avec les Elfes Noirs. Le statut des sang-mêlés avait beau être plus élevé que celui des Elfes Noirs, il restait néanmoins bien en-dessous de celui des Elfes de Lumière.

Béphélius songea alors que s'il venait disparaître un jour, alors en tant qu'Elfe Noir qui avait "engendré l'unique descendant de Béphélius" aux yeux du monde, la situation de Vanain serait nettement meilleure qu'actuellement. Mais il était trop tard pour ça.

Vanain avait senti une bouffée de panique dès que Béphélius avait commencé à parler.






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