Chapitre Quatorze : Illusion
L'Elfe Noir réprima ses émotions, prit la main de l'Elfe de Lumière qui recouvrait sa joue, et demanda dans un souffle :
« Votre Altesse Royale, que se passe-t'il ? Dites-moi ce qu'il se passe !
– Tout va bien, répondit Béphélius en retirant la main de l'Elfe Noir. Je dois
seulement partir quelque part pendant un certain temps. Cela risque d'être un peu dangereux. »
Au lieu de tenter faussement de le rassurer, il révéla à Vanain la possibilité d'un accident. Il savait que son Elfe Noir était très intelligent. Il ferait de son mieux pour tout arranger pour lui, mais il ne voulait pas non plus cacher cela à Vanain. Il espérait ainsi que l'autre Elfe pourrait se préparer au pire. Ainsi, si un accident arrivait vraiment, la douleur de la perte serait minimisée.
« Mais ne te fais pas trop de souci. La situation est encore incertaine. Tant que je reste prudent, j'ai toutes les chances de revenir sain et sauf, » assura Béphélius en souriant.
Après tout, Archille et le roi de Elfes n'étaient pas assez stupides pour laisser Béphélius courir réellement un danger mortel.
Il se pencha et embrassa le menton de l'Elfe Noir, avant de presser son nez contre le sien en signe d'affection.
« Je reviendrai pour toi. »
L'affaire étant pressante, Béphélius devait s'en aller le matin suivant.
Cette nuit, Vanain et lui prirent possession du corps de l'autre autant que possible et avant de s'endormir enfin, Béphélius demanda à son Elfe Noir de ne pas oublier de le réveiller au matin.
Mais quand Béphélius se réveilla de lui-même, Vanain ne l'avait pas appelé, encore endormi.
Béphélius ouvrit soudain les yeux et réveilla l'Elfe Noir à ses côtés.
« Van, quelle heure est -il ? »
Sans attendre la réponse de l'autre Elfe, il bondit du lit et ouvrit les tentures pourpres. Contrairement à ce qu'il croyait, il ne vit pas un ciel lumineux mais il faisait encore nuit et de nombreuses étoiles étincelaient dans le firmament.
Au même moment, l'Elfe Noir sortit aussi du lit, enroula ses bras autour de sa taille par derrière, le serra contre lui et murmura à son oreille :
« Votre Altesse Royale, nous n'avez dormi que dix minutes. Il faut encore vous reposer. »
Béphélius avait consulté l'horloge en argent sur la table de nuit. En effet, cela ne faisait pas longtemps qu'il s'était endormi, comme le confirmait le ciel nocturne visible par la fenêtre.
Oui, il se faisait du souci pour rien. Même si Vanain et lui avaient oublié de se réveiller, l'intendant serait venu le réveiller pour qu'il ne manque pas le rendez-vous du lendemain. Le temps ressenti pendant le sommeil n'était pas fiable parce qu'on avait souvent l'impression d'avoir dormi très longtemps alors qu'en fait, cela ne faisait que quelques instants.
« Mais j'ai l'impression d'avoir dormi pendant des heures et je n'ai plus du tout sommeil, » marmonna Béphélius en laissant son Elfe Noir le porter jusqu'au lit et l'envelopper d'une couverture d'un blanc immaculé.
Il était énergique et avait l'esprit clair comme s'il avait dormi une nuit entière, et non seulement dix minutes.
« Alors Votre Altesse, vous voulez faire quelque chose en particulier ? » demanda gentiment Vanain.
Sauf qu'il n'y avait rien à faire, sans parler du fait qu'il devait se rendre dans la Forêt de la Vie le lendemain. Il valait mieux qu'il fasse le plein d'énergie. En y songeant, Béphélius s'allongea de nouveau, avec les bras de son Elfe Noir autour de lui.
Mais son esprit n'avait nulle envie de dormir. Au départ, il se contenta de rester dans les bras de Vanain. Ensuite, il ne put s'empêcher de déposer de doux baisers sur ses épaules et son torse. Pour finir, les deux Elfes ne purent se retenir plus longtemps et entremêlèrent leurs corps...
Béphélius était allongé sur son Elfe Noir et avait repris son souffle. Il leva la tête pour faire face à Vanain et en voyant les yeux sombres, il proposa sans y réfléchir :
« … Cette fois, je cours un risque dans ce voyage. Tu veux m'accompagner ? »
De cette manière, il pourrait le protéger lui-même et n'aurait plus à s'inquiéter de le laisser seul, sans personne pour le protéger, à attendre son retour au palais, si retour il y aurait. Au final, il devait accorder à l'autre Elfe le droit de choisir et Vanain devait décider par lui-même.
Vanain caressa ses beaux et longs cheveux blonds, contempla les pupilles d'or pâle qui contenaient une pointe d'anxiété et regarda les lèvres devenues rouges à force de s'embrasser. Il tendit la main et pressa le prince sur le lit. Puis il déposa des baisers brûlants et intenses sur les paupières et les lèvres.
« Bien sûr, Votre Altesse. Où que vous alliez, je souhaite vous suivre... aussi longtemps que vous voudrez de moi. »
Béphélius avait finalement décidé de prendre son Elfe Noir en voyage.
Les gardes de son escorte eurent naturellement une réaction critique à cela mais Béphélius avait toujours été sage et avait la confiance de ses sujets. Il n'était ni médiocre ni incompétent et ce n'était pas le genre de personne licencieuse qui voyageait avec ses amants pour le plaisir, alors ils ne manifestèrent aucun mécontentement.
Béphélius expliqua simplement aux treize soldats :
« Vanain est très capable, il ne sera pas un poids. Il peut s'occuper de mes besoins au quotidien. »
Il y avait treize gardes qui voyageraient avec Béphélius mais seulement sept le suivraient dans la Forêt de la Vie et les six autres resteraient à l'extérieur au cas où il faudrait des renforts. Ils acceptèrent tous plus facilement l'excuse de "s'occuper des besoins quotidiens du prince". Après l'explication de Béphélius, les gardes ne trouvèrent plus cela étrange que le prince laisse son esclave elfique favori les suivre.
La Forêt de la Vie se situait à l'est de la Guangdu et Béphélius et son groupe galopèrent tout le long du chemin. Ils arrivèrent cinq jours plus tard dans la zone centrale de la Forêt de la Vie.
Cependant, les ennuis commencèrent à partir de là.
Leur boussole indiqua qu'il avaient tourné en rond pendant deux jours consécutifs dans la zone centrale et qu'ils ne parvenaient plus à s'enfoncer davantage dans la forêt.
Ils avaient suffisamment de vivres mais la sensation de tourner en rond jour après jour pouvait rendre fou. Encore plus effrayant, certains commencèrent à souffrir d'hallucinations.
Au départ, ce fut un garde qui prétendit avec insistance qu'il y avait un monstre noir à forme humaine qui les suivait, sauf qu'ils ne découvrirent pas le moindre signe de cette créature. Puis une nuit, ce garde attaqua soudain les autres et son visage exprimait une terreur intense, comme si les huit autres Elfes, dont Béphélius, étaient d'horribles monstres à forme humaine à ses yeux.
Béphélius n'eut pas d'autre choix que d'ordonner aux autres gardes de l'immobiliser et de l'assommer, puis un des gardes le conduisit hors de la forêt.
Du coup, il ne restait plus que cinq gardes.
Ils continuèrent leur avancée mais les bonnes choses eurent vite une fin. Bientôt, deux gardes succombèrent aux illusions : l'un des Elfes de Lumière se prit pour une bête sauvage et l'autre vit son voisin qu'il avait tué des années auparavant et qui revenait se venger. Le premier s'enfonça en courant dans la forêt pour ne plus jamais reparaître et le second agit comme un fou et finit par se poignarder avec une branche morte, causant sa mort.
Béphélius avait anticipé le fait que la plupart des animaux et plantes de la Forêt de la Vie seraient rares dans le monde extérieur, et aussi que les sources d'eau seraient inconnues, ce qui pourrait poser problème. Alors ils avaient pris des provisions d'avance et n'avaient rien mangé ni bu qui provenait de la forêt. Cependant, Béphélius n'aurait pas cru qu'il y aurait quand même des problèmes, soit à cause de l'air ou bien à cause d'un pouvoir ou de sorts inconnus.
Deux gardes étaient subitement morts mais ils n'avaient toujours pas trouvé le moyen d'avancer et ignoraient toujours ce qui provoquait les hallucinations. Béphélius n'avait aucune idée pour progresser et la Forêt de la Vie était bien plus mystérieuse que ce qu'il aurait cru. C'était terrifiant.
Il décida donc de faire demi-tour par le même chemin et d'attendre qu'il se soit davantage préparé à enquêter sur la situation de l'Arbre de la Vie.
Ce qui perturbait le plus Béphélius, c'était qu'il commença également à avoir des hallucinations dès que le groupe de cinq rebroussa chemin.
Il sentit qu'il était pieds et mains liés sur le lit de leur chambre, sauf qu'il ne s'agissait pas de cordes ordinaires ou autres qui le retenaient mais d'une énergie rouge sombre qui semblait bien tangible.
Il leva la tête et vit son Elfe Noir le dévorer du regard, un regard possessif et agressif qu'il n'avait jamais eu par le passé, inspectant chaque parcelle de sa peau avant de se rapprocher petit à petit...
Béphélius fut alors complètement asservi, incapable de se libérer malgré ses efforts. Il ne put que gémir faiblement et laisser l'autre Elfe faire ce qu'il voulait de lui, tel un délicieux sacrifice attendant que le couteau s'abatte...
Ce fut Vanain qui le réveilla.
Béphélius ouvrit les yeux et vit son Elfe Noir le contempler avec inquiétude et avec son regard doux usuel. Il lui murmura :
« Votre Altesse, votre Altesse, réveillez-vous. Je suis là... »
Béphélius lui lança un regard confus et ne put s'empêcher de se recroqueviller en voyant la personne en face de lui. Il était encore immergé dans l'illusion d'être opprimé et abusé par l'Elfe Noir.
Quand il chassa les derniers restes de sommeil, il se pressa spontanément dans les bras de Vanain et chuchota :
« Qu'est-ce qui m'est arrivé ? »
La nuit était bien avancée et le feu de camp à l'extérieur de la tente crépitait doucement, ses flammes projetant des ombres sur les parois de la tente. Il n'y avait pas d'autre bruit dans la nuit, sauf le léger ronflement des trois gardes dans la tente voisine.
L'Elfe Noir prit gentiment le prince dans ses bras.
« Votre Altesse, vous avez sûrement fait un cauchemar. À l'instant, vous gémissiez doucement et avez appelé mon nom. »
Sur ces paroles, il déposa un tendre baiser sur les paupières de Béphélius.
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