Chapitre Dix-Sept : Demander sa récompenser
« Telle est la relation entre les entités supérieures et inférieures dans les mythes. C'est également la relation entre nous, qui sommes des êtres inférieurs, et ceux qui sont encore plus inférieurs que nous. Il protégera ceux qui peuvent Lui plaire et Le satisfaire. L'existence des autres êtres inférieurs... ne vaut rien pour Lui. »
L'Elfe âgé poussa un lourd soupir.
« Quant à l'existence d'un grand être avancé qui a toujours pris soin de nous et nous a protégés... Ce n'est qu'une jolie histoire que nous nous racontons pour nous rassurer. »
Pourtant, ce que la "voix" avait dit à Béphélius préoccupait le roi des Elfes et Archille.
Comme le roi des Elfes était le pilier actuel des Elfes de Lumière et que Béphélius était l'espoir pour l'avenir, d'après les descriptions de Béphélius, Archille se dit qu'il pouvait survivre à la Forêt de la Vie.
Au final, Archille décida de se rendre personnellement dans la Forêt de la Vie pour enquêter sur l'Arbre de la Vie ainsi que cette "voix".
Juste avant son départ, les dernières nouvelles de la rébellion des Elfes Noirs parvinrent à Guangdu : après un mois d'impasse, les deux armées s'étaient affrontés dans la ville de Jingu La ville d'or (1). Au final, l'armée du roi des Elfes avait dû reculer et les rebelles occupaient désormais Jingu, une ville important dans l'Ouest.
Les Elfes de Lumière fut très choqués à l'annonce de cette nouvelle. Il n'était plus possible de prendre cette rébellion à la légère. De plus, la rumeur d'"Elfes Noirs qui possédaient des pouvoirs spéciaux" se répandit peu à peu.
L'ancien roi des Elfes, Archille, qui avait un peu plus de deux cents ans, se lança dans le voyage pour la Forêt de la Vie le cœur lourd, avec ses fidèles gardes.
Ils s'étaient préparés à l'avance selon les informations fournies par Béphélius et après tout, l'expérience d'Archille était bien plus riche que celle de Béphélius dans tous les aspects et ses gardes étaient plus loyaux et puissants. Ou peut-être qu'il y eut d'autres facteurs difficiles à prévoir. Quoi qu'il en soit, le voyage d'Archille se déroula bien mieux que celui de Béphélius. Il entendit bientôt l'appel de cette "voix" et se rendit au pied de l'Arbre de la Vie tard le soir. La voix lui demanda s'il avait le moindre souhait.
Archille annonça qu'il désirait que les Elfes Noirs se voient retirer leurs pouvoirs et assurer un long règne pour les Elfes de Lumière.
La voix accepta gaiement et fit la même demande qu'à Béphélius la fois précédente :
« C'est entendu mais quand je le voudrai, tu devras me payer un prix équivalent en échange, sinon tu seras doublement puni. »
Quand Archille revint à Guangdu, il fut ébahi d'apprendre que l'armée rebelle des Elfes Noirs s'était soudain effondrée et avait disparu en l'espace d'une nuit et que la ville de Jingu était de nouveau aux mains des Elfes de Lumière. Les seules pertes subies furent les esclaves elfiques qui s'étaient enfuis pour rejoindre l'armée des rebelles et qui n'étaient jamais revenus.
Il fut alors certain que la voix avait bien un pouvoir puissant qui transcendait tout. Il avait respecté sa promesse mais Archille ignorait encore le prix qu'il allait devoir payer en retour.
Néanmoins, cela méritait bien une fête pour célébrer la fin de la crise de la rébellion. Le roi des Elfes organisa un immense banquet de victoire au palais et invita tous les princes, les nobles et ses sujets.
Comme Archille ressentait la fatigue de son long voyage, il se retira tôt et sombra dans le sommeil pendant que tout le monde faisait la fête.
Dans son rêve, il entendit de nouveau la voix familière et mystérieuse.
La voix fit d'un ton qui ne tolérait aucun refus :
« J'ai rempli ma part du marché et exaucé ton souhait. Maintenant, c'est à toi d'en payer le prix. »
Dans le rêve, Archille s'entendit demander quel prix il devait payer.
« Je suis tombé amoureux de ton petit-fils, je le veux, répondit franchement la voix, toujours d'un ton qui ne tolérait aucun refus. Envoie-le moi pour qu'il soit mon amant, et il devra accepter toutes mes attentions. »
Archille se réveilla en sursaut, les vêtements trempés du sueur. Il regarda par la fenêtre les toits noirs et la lune, la voix de son rêve résonnant à ses oreilles comme un écho.
Il savait parfaitement ce que voulait la voix mais comment pourrait-il céder l'héritier qu'il avait élevé, le futur roi des Elfes, à une entité inconnu qui voulait faire de lui son jouet ou son amant ?
Archille décida de faire l'autruche comme s'il n'avait jamais fait ce rêve. Néanmoins, il n'eut pas l'esprit tranquille de toute la journée.
Quand il s'endormit ce soir-là, il entendit de nouveau l'avertissement de cette voix, et la voix lui rappela que s'il voulait revenir sur leur accord et s'il refusait de payer, alors il serait puni deux fois.
Dans le rêve, Archille l'implora de lui laisser un peu de temps car il devait en discuter avec son petit-fils.
La voix grommela un moment mais accepta avec magnanimité. Il lui imposa de payer le prix dans trois jours.
Quand Archille se réveilla, il fit aussitôt mander le roi des Elfes pour discuter des contre-mesures. Il n'appela pas Béphélius et n'avait nullement l'intention de le mettre au courant, parce qu'il n'était pas dans ses projets de céder Béphélius.
Ce fut dans des moments pareils que les enfants illégitimes du roi des Elfes se révélèrent bien utiles. Archille sélectionna trois d'entre eux qui ressemblaient à Béphélius mais chacun avec ses propres mérites. On leur conféra exceptionnellement le titre de prince puis ils furent escortés à la Forêt de la Vie.
Il profita du manque de précision de la part de la voix : l'autre avait seulement dit qu'il voulait son petit-fils, sans préciser lequel. Bien qu'il savait parfaitement que la voix faisait référence à Béphélius, le prince Elfe de Lumière qui avait été dans la Forêt de la vie, qui avait communiqué avec la voix et qui était le plus légitime prince elfique, il pouvait prétendre avoir mal compris. Ces enfants illégitimes étaient quand même ses petits-fils aussi. Oui, en aucun cas il ne manquait à sa parole.
Et puis, il y avait le mince espoir dans le cœur d'Archille que la voix désirait seulement un amant. Les trois personnes qu'il avait choisies avaient presque le même âge et physique que Béphélius, avec des personnalités différentes, mais ils étaient tous les trois plaisants. En tout conscience, toute personne que la voix choisirait serait bien plus expérimentée et appréciable que son petit-fils qui n'avait jamais pris d'amant car après tout, Béphélius n'avait jamais gardé que son esclave elfique à ses côtés pendant des années.
Peut-être même que la voix déciderait de les garder tous les trois et si elle les appréciait, elle ne serait plus fixée sur Béphélius.
Et si l'autre personne voulait vraiment un prince elfique comme amant, les trois choisis avaient désormais le titre, l'identité et le statut de prince, ce qui remplissait donc les conditions.
Archille avait bien calculé son coup sauf que la voix n'accepta pas du tout ce compromis.
Les trois nouveaux princes qu'il avait envoyés ainsi que leurs gardes ne purent même pas entrer dans la Forêt de la Vie. La voix montrait clairement qu'ils n'étaient pas les bienvenus.
Ce qui troubla le plus Archille, ce fut que l'on repéra des traces de l'armée des rebelles Elfes Noirs près de la ville de Jingu et selon les rapports secrets, il seraient encore plus puissants qu'avant.
La voix était clairement en colère, et démontrait que le contrôle et la domination avaient toujours été de son côté, pas de celui d'Archille. Ce dernier sut alors ce que "double punition" signifiait.
En désespoir de cause, Archille fit mander le roi des Elfes et Béphélius pour en discuter ensemble.
Béphélius fut extrêmement surpris en écoutant le récit de son grand-père car il avait complètement oublié la voix dans la Forêt de la Vie ainsi que le marché qu'il avait fait avec l'autre entité.
Il avait mené une vie relativement confortable depuis son retour de la Forêt de la Vie et le problème de la rébellion avait été réglé en douceur. Du coup pendant ce temps, il avait renoué avec ses habitudes de gérer les affaires du royaume, manger, dormir, faire de l'exercice, étudier et être intime avec Vanain. Cette histoire de la Forêt de la Vie lui était complètement sortie de la tête.
Il ne put que se sentir un peu perplexe. L'autre partie avait demandé une compensation à son grand-père alors pourquoi n'était-il pas venu demander directement à Béphélius de payer le prix ?
Que se passerait-il s'il me demandait de payer et que je n'y parvenais pas à temps ? Comment me punirait-il ? Je perdrais Vanain pour toujours ?
Le cœur de Béphélius frémit à cette pensée.
En fin de compte, Béphélius prit sa décision :
« Je vais aller dans la Forêt de la Vie pour voir ce qu'il veut. Ne vous en faites pas, ça ira pour moi. »
Il ne comprenait pas pourquoi l'autre partie voulait faire de lui son amant, et surtout comment il voulait faire de lui son amant. Après tout, même si l'autre partie avait manifesté d'immenses pouvoirs jusqu'à présent, il n'avait encore révélé ni son visage ni sa forme.
Était-il possible que son corps soit cet arbre ? Quel genre d'amant pouvait bien vouloir un arbre ? Aurait-il à se transformer en arbre pour lui tenir compagnie ?
Béphélius ne cessa d'y songer et quand il revint à son palais, son visage avait pris un air embarrassé. Dans tous les cas, il n'était pas heureux.
L'Elfe Noir l'aida gentiment à changer les vêtements qu'il avait porté pour sortir, l'embrassa tendrement dans le cou et lui demanda :
« Qu'y a-t'il, Votre Altesse Royale ? Que s'est-il passé ? Vous n'avez pas l'air de bonne humeur. »
Le prince passa ses bras autour du cou de l'Elfe Noir, chagriné, et murmura :
« Van, je vais te dire. Il y a un arbre pervers qui me veut comme amant. »
Un arbre pervers ?
Vanain en resta sans voix un moment, puis serra discrètement les dents — comment ce vieux fou d'Archille avait-il transmis sa requête au prince ?!
Note de Karura :
"Il ne comprenait pas pourquoi l'autre partie voulait faire de lui son amant, et surtout comment il voulait faire de lui son amant."
Sérieusement ?! C'est LA question que se pose Béphélius ?
Notes du chapitre :
(1) La ville d'or.
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