Prisonnier du Temps 19

Chapitre Dix-neuf : De l'autre côté de la porte


« Vanain, où sont passées toutes nos horloges ? demanda Béphélius à son Elfe Noir d'un ton soupçonneux en levant la tête vers lui.

– Je ne voulais pas que vous soyez perturbé en les voyant, votre Altesse Royale, alors je les ai enlevées ce matin à mon réveil, » répondit Vanain d'un ton naturel.

Une fois qu'il eut ouvert les tentures, il revint auprès de Béphélius pour le prendre dans ses bras et déposer un léger baiser sur les boucles blondes de l'autre Elfe.

La veille, parce qu'il s'inquiétait de devoir quitter sa demeure pour faire face à cet arbre pervers, Béphélius n'avait cessé de consulter sa montre fréquemment. Il avait été peiné par le passage du temps et de toute évidence perturbé. Vanain avait dû lire cela dans son regard.

Béphélius se dit que plutôt que de se montrer suspicieux des actions de l'autre Elfe, il était plutôt touché par sa sollicitude.

Alors qu'il oublie le temps pour le moment, au moins jusqu'à la tombée de la nuit, et qu'il ne s'inquiète pas de la venue du lendemain.


Dans les premiers temps où Béphélius se défit de son fardeau psychologique, il fut très heureux. Il ne s'angoissait plus de devoir quitter sa demeure et l'Elfe Noir et d'avoir à gérer seul un arbre pervers qui conspirait contre lui et était très puissant. Par conséquent, il apprécia grandement son dernier jour avec Vanain, sans même savoir si le temps filait.

Quand il eut sommeil, il s'endormit dans les bras de l'Elfe Noir avec béatitude. Quand il se réveilla, il faisait encore jour et il put tout de suite savourer la collation que lui apporta l'Elfe Noir, bien qu'il n'ait pas faim... Béphélius voulait tellement profiter du temps qu'il lui restait qu'il ne remarqua rien au départ. Mais même s'il était bien occupé, il finit par se rendre compte de quelque chose après un certain temps.

Le jour était trop long. On aurait dit que le temps s'était arrêté et que le soleil ne se coucherait jamais.

Et ces derniers temps, le seul être vivant avec qui il avait contact était Vanain.


C'était étrange de toute évidence. Le lendemain matin, il se présenterait au palais pour faire ses adieux à son grand-père Archille et au roi des Elfes, puis il se mettrait en route pour la Forêt de la Vie, accompagné par ses gardes. Même si quelque chose était arrivé, cela n'aurait pas dû être aussi calme. Au moins, le roi des Elfes aurait dû envoyer quelqu'un le chercher.

Béphélius marmonna mais ne dit rien. Il s'allongea sur le torse de Vanain et embrassa le coin de ses lèvres.

L'Elfe Noir le laisser l'embrasser gentiment, ses narines se plissèrent un peu et ses doigts se crispèrent inconsciemment.

C'était bien réel ; en tout cas, la personne à ses côtés n'avait pas été substituée.


Béphélius se sentit un peu soulagé. Il se rappelait des moindres petites habitudes de Vanain. Par exemple, quand Béphélius l'embrassait de cette manière, Vanain ne réagissait pas trop d'ordinaire mais il resserrait un peu plus son étreinte et levait un peu la tête. Ce n'était pas compliqué d'imiter l'apparence d'une personne, sa voix ou même sa façon de parler, mais on ne pouvait reproduire de telles réactions et habitudes inconscientes.

Qui plus est, il y avait bien souvent un lien et une connexion inexplicables entre les gens et leurs proches.

Béphélius et Vanain avaient vécu ensemble pendant dix ans. Ils connaissaient la moindre expression, le moindre mouvement, le moindre souffle et le moindre battement de cœur de l'autre. Même s'il ne faisait que rester allongé à côté de l'autre sans bouger, Béphélius pouvait dire s'il s'agissait bien de son Elfe Noir.


« Van, fit lentement Béphélius, cela fait longtemps que nous ne sommes pas sortis. Prépare mes vêtements et le carrosse. Allons nous promener un peu. »

Le corps de l'Elfe Noir se tendit involontairement et un autre que Béphélius ne s'en serait pas rendu compte.

Il embrassa Béphélius sur le front et fit :

« Mais, votre Altesse Royale, je veux seulement rester avec vous, rien qu'avec vous. N'est-ce pas bien ainsi quand il n'y a que nous deux ? »

Ces dix dernières années, Vanain n'avait pas une fois désobéi à ses ordres ni même avancé ses propres idées ou souhaits. Peu importe ce que disait ou demandait Béphélius, l'Elfe Noir s'y pliait.

C'était bien la première fois que Vanain refusait d'obéir et exprimait ses propres pensées.


Le prince elfique dévisagea calmement son Elfe Noir et tenta d'en savoir plus. Il n'y avait personne d'autre avec eux et puisque Vanain ne voulait visiblement pas qu'il sorte voir d'autres personnes, alors le problème venait très certainement de son Elfe Noir.

Quelqu'un l'avait-il soudoyé ? Mais y avait-il quoi que ce soit que Béphélius ne puisse lui donner ? Est-ce qu'on faisait pression sur lui ? Mais y avait-il quoi que ce soit qui puisse servir à menacer Vanain ? Ou bien agissait-il pour sa liberté ou celle des Elfes Noirs ? Ce n'était pas impossible.

Béphélius pouvait l'affranchir de son statut d'esclave mais il était absolument impossible pour Vanain de s'en aller. S'il voulait vraiment partir, il ne pouvait que compter sur des forces externes.

À cette pensée, Béphélius se sentit abattu et la lueur dans ses yeux se ternit. Quand il contempla son Elfe Noir, il eut l'air un peu malheureux.


Vanain crut qu'il n'était pas heureux parce qu'il avait refusé son idée de sortir alors il se dépêcha de l'embrasser au coin des lèvres et de le cajoler, faisant de son mieux pour remonter le moral de son prince.

« Votre Altesse Royale, que diriez-vous d'une marche ? Attendez juste un moment, vous voulez bien ? Je vous emmènerai dehors ensuite. Vous avez faim ? Vous voulez manger quelque chose ? Et si je cuisinais pour vous ? »

Quant à la définition de ce qu'il appelait un moment, cela ne dépendait que de lui.

Béphélius garda les yeux baissés un moment, hocha la tête et nomma quelques-uns de ses plats préférés dont la préparation était extrêmement compliquée.

Bien entendu, Vanain n'allait pas refuser puisqu'il voulait lui faire plaisir. Il déposa un baiser sur son front et se leva pour se rendre à l'étage inférieur.

« Entendu, Votre Altesse Royale. Reposez-vous un peu. Dès que j'aurai fini, je vous apporterai ça le plus vite possible. »


Béphélius attendit qu'il ait disparut puis il se leva du lit et se dirigea silencieusement vers les escaliers, marchant pieds nus sur le doux tapis de laine blanche.

Il entendit un peu de bruit en direction des cuisines, prouvant que quelqu'un s'y affairait. À part ça, l'immense palais était silencieux comme s'il n'y avait pas d'autres créatures vivantes en ces lieux.

Le hall d'entrée ne comportait pas de tapis alors Béphélius dut marcher pieds nus sur le sol en marbre et le froid qu'il ressentit vint s'ajouter à celui qu'il avait déjà dans son cœur.

Il détestait le froid et tout ce qui était froid. Cette fois, il dut prendre sur lui et marcher pas à pas vers la porte.

Au moment où sa main se refermait sur la poignée ancienne en bronze, une voix familière s'éleva derrière lui :

« Votre Altesse Royale ? »


Béphélius tourna la tête par réflexe et vit Vanain avec une assiette de porcelaine blanche dans les mains, sur laquelle se trouvaient différents en-cas raffinés. L'Elfe Noir se tenait au bout du couloir de droite et le contemplait, légèrement renfrogné, l'air manifestement un peu mécontent.

Béphélius l'ignora et se tourna vers la porte pour la pousser — la poignée de bronze resta immobile, impossible de l'enclencher. Béphélius redoubla d'efforts sans que rien ne change au final. La porte qui s'était toujours ouverte dès qu'il enclenchait était devenue impossible à ouvrir.

Ce fut alors que Vanain, qui avait déjà posé l'assiette sur une table du couloir, rejoignit Béphélius en pressant le pas et le serra fermement dans ses bras.

Béphélius se retrouva soudain dans l'étreinte de l'Elfe Noir. Sa main gauche saisit automatiquement le col de la chemine de Vanain tandis que la droite tenait encore fermement la poignée.


Vanain retira d'une main son manteau qui avait la chaleur de son corps et l'enroula autour des pieds nus et gelés de Béphélius. Il tint ensuite Béphélius contre lui d'une main tandis que l'autre descendait lentement vers la main qui tenait la poignée. Il murmura à l'oreille de Béphélius :

« Votre Altesse Royale, vous voulez vraiment sortir ? Si vous le faites, vous devrez alors affronter demain. Vous vous moquez bien de devoir me quitter pour aller retrouver cette voix ?

« Restez ici, avec moi et pour toujours. Je vous servirai toujours, je vous aimerai, vous obéirai, prendrai soin de vous comme je l'ai toujours fait et je ferai de mon mieux pour vous rendre heureux et vous retirer tous vos soucis. Mais si vous sortez, vous serez sans aucun doute envoyé au propriétaire de cette voix. Il ne retiendra plus ses désirs. Il suivra son cœur et vous possédera, vous forcera et vous ravagera. Vous aurez beau résister et pleurer... cela ne servira à rien, il vous aimera et vous chérira mais votre apparence lui donnera seulement envie de vous tourmenter et vous faire l'amour de tout son saoul.


« Votre Altesse Royale, je ne cherche pas à vous faire peur, le choix vous revient. Vous voulez vraiment partir et suivre ce chemin ? Ce que j'ai dit ne vous convaincra pas de renoncer ? »

L'Elfe Noir tenait le prince elfique dans ses bras et murmurait doucement à son oreille mais la main qui recouvrait celle de Béphélius se crispa davantage, comme pour le forcer à se décider vite : lâcher la poignée ou bien ouvrir la porte.

Béphélius se tourna pour regarder son Elfe Noir un moment, sans un mot, puis lentement, en s'aidant de son autre main, il ouvrit la lourde porte devant lui.






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