Chapitre Soixante-Neuf : Son bien
Les deux adversaires avaient une force impressionnante. Ce combat allait être de toute évidence bien plus intéressant que le précédent aussi le public montra un enthousiasme exceptionnel. D'un côté vous aviez le récent champion et de l'autre un mythe invaincu qui avait disparu depuis plus de six mois. Les deux pilotes avaient chacun leurs supporters qui criaient dans le public. Le nombre de paris et les sommes mises en jeu augmentaient sans cesse.
Le mecha gris basique de Shi Jian n'était clairement pas aussi maniable que le mecha noir de son adversaire. Au début du combat, il n'avait fait qu'esquiver les attaques de son adversaire mais tous ceux qui avaient un peu d'expérience pouvait constater que le mecha gris avait clairement l'avantage.
Effectivement, après avoir évité trois attaques d'affilées de son adversaire, Shi Jian mit une certaine distance entre eux puis tira trois coup de laser longue portée. Pendant que son adversaire esquivait les tirs, Shi Jian réduisit brusquement la distance entre eux et termina le combat d'un coup d'épée net.
Yan Tuo savait parfaitement que Shi Jian était très fort ; sans ça, ce simple étudiant d'une école militaire ordinaire n'aurait jamais pu devenir ce qu'il était devenu.
Mais il n'aurait jamais cru qu'il était aussi fort. Après tout on avait beau dire, c'était encore un étudiant de première année qui n'avait pas reçu d'entraînement régulier tandis que la plupart des participants des combats de mecha clandestins possédaient déjà une riche expérience en matière de combat réel. Cependant Shi Jian avait gagné sans grande difficulté. À en juger par la réaction de Boney, Shi Jian devait aussi avoir gagné les fois précédentes car il ne manifesta aucune surprise devant son exploit — ce qui était encore plus étonnant. Pour un orphelin comme Shi Jian, c'était très rare d'avoir accès à des mechas.
Alors cela ne pouvait s'expliquer que par le talent, un talent terrible qui allait bien au-delà des capacités des gens ordinaires.
Le mecha noir resta figé de l'autre côté de l'arène comme s'il n'avait pas encore réalisé sa défaite. Shi Jian quant à lui était déjà rapidement sorti du mecha, avait évité la foule en délire et s'était dirigé vers les coulisses.
Puis Yan Tuo fut soulevé par une grande main familière et déposé dans sa paume.
Le front et le cou de l'homme étaient légèrement couverts de sueur, les boutons de sa chemise noire étaient ouverts à moitié et ses cheveux noirs aux tempes étaient aussi trempés de sueur. Cela lui conférait un air particulièrement sexy et jeune que Yan Tuo n'aurait jamais pu voir chez le Shi Jian calme et indifférent qu'il connaissait quinze ans plus tard.
Il prit la bouteille d'eau proposée par Boney et but tranquillement. Puis il leva Yan Tuo au niveau de ses yeux, regarda les yeux ronds du petit gars et fit :
« Alors, j'étais super, non ? Bébé, ça t'a plu ? Mon bébé si sage, tu vas bien manger. Attends un peu et je te décrocherai la lune. »
Il aurait pu finir le combat bien plus tôt mais rien qu'à l'idée de ce petit gars qui le regardait certainement avec curiosité depuis les coulisses, il n'avait pas pu résister à l'envie de manœuvrer le mecha pour quelques mouvements compliqués et même étaler ses compétences éblouissantes en faisant deux sauts supplémentaires.
Yan Tuo leva la tête pour le regarder et miaula doucement.
Dans tous les cas Shi Jian avait fait ça pour mieux le nourrir. Même s'il n'approuvait pas cette activité des plus risquées, il avait néanmoins décidé de le féliciter.
Shi Jian ne put s'empêcher de déposer un baiser sur sa petite tête.
« Gentil petit. On dit que les autres sont la perle de notre paume Une expression qui se réfère à un enfant chéri, la prunelle de ses yeux. J'ai gardé la version chinoise parce que Shi Jian place souvent son chaton dans sa paume, d'où le lien. (1) alors es-tu le chat de ma paume ? Allez bébé, dis au revoir à Boney. Nous allons acheter quelque chose de délicieux à manger puis nous rentrerons chez nous. »
Le chaton parut comprendre car il miaula en direction de Boney. Il fut ensuite porté dans les bras de l'homme. Seule sa petite tête resta visible et il regarda à droite et à gauche avec entrain.
Boney avait demandé à Shi Jian s'il avait l'intention de revenir se battre dans les prochains temps. Bien entendu il comprenait tout à fait qu'un cadet admis dans la Première Académie Militaire Interstellaire et promis à un bel avenir avait plutôt intérêt à éviter de participer à ce genre d'activité. Alors quand Shi Jian lui avait annoncé qu'il allait intégrer l'école militaire et qu'il comptait donc arrêter les combats, il ne l'avait pas retenu. Mais d'un autre côté, en tant que manager de l'arène, il savait aussi la grande valeur que ce jeune homme pouvait apporter. Le total des paris de ce soir était le triple de la veille et en plus Shi Jian avait brisé la série de victoires du mythique Tornado. C'était tous ces points excitants qui stimulait le public. Néanmoins il comptait respecter la décision du jeune homme.
Shi Jian avait hésité avant de répondre doucement :
« Ça dépendra. »
S'il pouvait trouver d'autres sources de revenus afin d'élever ce petit gars difficile, alors naturellement il n'aurait plus besoin de revenir.
En voyant le jeune homme amadouer son chat patiemment et tendrement pour partir, lui promettre de la bonne nourriture ou des jouets une fois qu'il aurait son argent, Boney soupçonna à nouveau que le chaton était en réalité l'enfant illégitime de Shi Jian — le comportement de ce dernier faisait terriblement penser à une jeune mère qui emmenait son fils prendre l'air — oh, la pauvre mère célibataire qui vivait dans la misère.
En fait Boney trouvait que Shi Jian avait de bonnes conditions à offrir en général et que son apparence était assez exceptionnelle. Pour une jeune fille qui ne se soucierait pas de ses origines sociales... hé bien, il conviendrait même à une princesse impériale alors il ne devrait pas être réduit à l'état de chien seul Un célibataire, un vieux garçon. (2) qui élevait un chat.
Bien que cela aurait été plus pratique de commander sur Starnet, Shi Jian fut ravi d'emmener son chaton dans le plus grand centre commercial de la planète Mutian aussitôt qu'il reçut son argent.
Le centre était ouvert 24 h sur 24, malgré tout il n'y avait que peu de gens qui allaient au magasin de nos jours. En plus il était tard dans la nuit alors le centre commercial avait l'air un peu désert avec presque aucun client en vue.
Comme il y avait eu beaucoup de spectateurs qui avaient parié ce soir, il avait touché un peu plus que prévu. Shi Jian fit ses calculs : après avoir acheté de la nourriture pour un mois, il pourrait encore acheter un ou deux jouets — si son bébé ne choisissait pas des jouets trop chers.
Au rayon alimentaire, Shi Jian prit Yan Tuo dans ses bras et lui demanda :
« Montre-moi ce que tu aimes manger, bébé. »
Mais il se rendit compte que son chat dédaignait quasiment toute nourriture et que même le poisson frais ne le tentait pas. De temps en temps les petits yeux regardaient sur le côté mais le chaton se reprenait aussitôt comme s'il ne voulait pas que Shi Jian se rende compte de ce qui l'intéressait.
Alors Shi Jian observa attentivement le regard de son petit bébé et découvrit que ce petit gars difficile était attiré par ce qu'il y avait de plus cher — par exemple du foie gras réservé à la famille impériale, un produit exclusif de l'Étoile Bleue et qui était proposé en offre spéciale ; le brocoli des neiges, une spécialité de l'Étoile de la Montagne Enneigée qui était cultivé sur un terrain de moins de trois mille kilomètres carré et à une attitude de plus de mille mètres ; des œufs de poisson-couronne des hautes mers qui n'étaient produits que sur l'Étoile des Mers...
« Si précieux, fit Shi Jian avec un sourire d'impuissance et en tapotant son ventre. Je suis sûr que tu devais être un petit empereur chat dans ta dernière vie. »
Le chaton couché dans ses bras se fit tapoter par un doigt. Il chancela puis se retourna avec un grognement pour se coucher sur la paume de sa main et protéger ainsi son ventre de lui.
Shi Jian eut l'air un peu triste en le voyant agir si délicatement. Ce petit gars avait l'air tout jeune, il venait sans doute juste de naître. Il n'avait pas encore toutes ses dents mais il se montrait plus sensible que la plupart des chats qu'il avait vus. Il semblait comprendre sa situation financière délicate alors il s'abstenait de s'intéresser à toutes les choses chères dont il avait pourtant envie.
Bien conscient de son budget, Shi Jian prit simplement des légumes, de la viande et du poisson. Malgré tout il prit le chaton dans ses bras et l'embrassa sur le cou. Il murmura :
« Ne t'en fais pas, bébé. Je t'offrirai une vie encore meilleure que celle de l'Empereur. »
Pitié, oublie cette idée.
Yan Tuo recula dans les bras de l'homme en entendant ça. Il songea avec vigilance : Je n'ai pas l'intention de vivre mieux que mon père, alors oublie l'idée de détrôner l'Empereur pour mettre ton chat à la place.
Mais il ne pouvait pas nier qu'il se sentit un peu content d'entendre ça. Après tout, en tant que fils unique de l'Empereur, même son père ne lui avait jamais dit : Mon fils, je veux que tu aies une meilleure vie que ton père.
Après avoir acheté la nourriture, Shi Jian reposa Yan Tuo dans le siège spécial animaux du caddie. Il l'emmena dans le rayon accessoires et lui demanda de se choisir un jouet.
Yan Tuo entra dans le rayon comme dans le Jardin Grandiose Grand View Garden à Shangaï. (3). Enfant, il ne s'était jamais intéressé aux animaux et n'avait jamais voulu en avoir un. Du coup il n'aurait jamais cru qu'il pouvait exister autant de jouets différents pour animaux. Il regarda dans tous les sens avec curiosité.
Shi Jian sourit, lui caressa la tête et le cajola :
« Bébé, plus tard je t'achèterai tout ce que tu voudras. Pour aujourd'hui, choisis un jouet, tu veux bien ? »
Il poussa le caddie jusqu'au milieu du rayon et toucha les petites oreilles de son bébé pour le laisser choisir. Néanmoins après l'avoir écouté, le petit chaton posa ses deux pattes sur le bord du caddie mais ne fit pas mine de s'intéresser aux jouets tout autour.
Shi Jian soupira. Il souleva du caddie, le déposa par terre puis tapota ses petites fesses pour le presser.
« Bébé, va prendre un jouet qui te plaît. On doit encore rentrer et dormir. »
Yan Tuo lui lança un regard mécontent par-dessus son épaule. À petits pas il parcourut le rayon en observant la grande variété de jouets. Finalement il attrapa fièrement une petit balle rouge et revint avec — c'était le moins cher des jouets du rayon.
Shi Jian tapota le menton de Yan Tuo, lui demanda d'ouvrir la bouche pour prendre la balle puis la mit dans le caddie. Il prit ensuite le chaton dans ses bras et le caressa sans un mot.
Il soupçonnait de plus en plus ce petit gars d'être vraiment intelligent : il était plus difficile qu'un humain ordinaire et il pouvait comparer les prix. Cependant il faisait de son mieux pour faire croire qu'il ne s'intéressait qu'aux choses moins chères à cause de la pauvreté de Shi Jian.
Ce dernier prit un mouchoir pour nettoyer les quatre petites pattes du chat, embrassa son corps tout doux puis le garda dans ses bras tout en poussant le caddie vers les caisses.
Cette fois il ne fit plus de promesse à son chat.
Yan Tuo n'était pas bien âgé en fin de compte et pas très endurant maintenant qu'il n'était plus humain. Il avait bien trop sommeil alors il s'endormit dans les bras de Shi Jian dans le train interstellaire pendant le retour, s'appuyant contre son torse.
Shi Jian sourit et tint la petite patte blanche du chaton contre son cœur.
À l'extérieur du train, le temps et l'espace changeaient, les étoiles se mouvaient mais ici et maintenant, il semblait être son seul bien immuable.
Notes du chapitre :
(1) Une expression qui se réfère à un enfant chéri, la prunelle de ses yeux. J'ai gardé la version chinoise parce que Shi Jian place souvent son chaton dans sa paume, d'où le lien.
(2) Un célibataire, un vieux garçon.
(3) Grand View Garden à Shangaï.
Commentaires :