Chapitre Quatre-vingt-un : Un chat douillet
« Ni l'Empire ni la Fédération ne vont rester les bras croisés pendant qu'une troisième puissance grandit ainsi, expliqua Shi Jian d'un ton indifférent. Je ne veux pas avoir d'ennuis alors mieux vaut garder la situation sous mon contrôle. »
L'Empire était un système héréditaire. Le dirigeant tenait fermement les rênes du pouvoir et prenait grand soin de ne pas laisser le contrôle entre les mains d'un autre. Au contraire le pouvoir de la Fédération était plus dispersé. Même si on ne venait pas d'une grande famille, avec le temps il était possible d'accéder au pouvoir. Avec les deux identités de Shi Jian pour prendre soin d'eux, sa vie avec son chat serait encore plus assurée.
Il n'avait pas prévu ça au départ mais s'il voulait gagner plus d'argent afin d'offrir une vie encore meilleure à son bébé, il devait devenir une très grande puissance. Cependant l'émergence d'un tel pouvoir ne pouvait que susciter la méfiance de bien des parties. Afin de conserver ce pouvoir discrètement et sûrement, la meilleure option semblait à présent d'intégrer la Fédération en tant que cadet et d'y établir peu à peu son propre pouvoir.
Yan Tuo miaula deux fois puis se roula dans les bras de Shi Jian.
Il avait fini par apprendre à affronter les différentes situations et problèmes avec désinvolture.
Au départ, il avait été très inquiet en entendant dire que "le prince de l'Empire était revenu de son épreuve de force et s'était rué vers la galaxie de Tianhe pour contribuer à son développement et à sa colonisation". En effet dans ses souvenirs de sa vie précédente, il n'avait jamais mis les pieds dans cette galaxie de Tianhe.
La galaxie de Tianhe était composée de plusieurs astéroïdes lointains et elle était entrée dans la juridiction de l'Empire cinq ans auparavant. Elle était située très loin, son développement avait énormément de retard, encore plus que Yuluo trois ans auparavant. Les gens de l'Empire et de la Fédération ne se souciaient guère d'une galaxie si lointaine.
Yan Tuo ne pouvait concevoir une raison pour laquelle il voudrait se rendre dans la galaxie de Tianhe. La seule explication serait qu'il y avait un problème avec son corps originel et que son père avait inventé ce mensonge pour expliquer sa longue absence afin de dissimuler la vérité et de réduire les risques que cela se sache.
À l'époque il avait été très agité et il avait fait toutes sortes de minauderies pour ne pas accompagner Shi Jian en cours. Après un long moment et des réprimandes de la part de Shi Jian — "pour un si petit chat, tu sais vraiment comment épuiser les gens" — il eut finalement le droit de rester à la maison. Cependant Shi Jian lui fit porter un collier en satin rose ainsi qu'un petit bouclier d'énergie suspendu au collier.
Ce bouclier d'énergie avait été spécialement conçu pour lui et suffisait à envelopper son petit corps. Si jamais il courait un danger, le bouclier d'énergie se déclencherait automatiquement. Comme la surface à protéger n'était pas bien grande, le champ d'énergie était très puissant à tel point que même des missiles ordinaires ne pouvaient le traverser.
La notion de danger définie par Shi Jian était très large. Tant que quelqu'un ou quelque chose de l'extérieur tentait de le toucher, le bouclier s'enclencherait pour empêcher les gens de l'approcher. Seul Shi Jian pouvait désactiver le bouclier quand il revenait.
Même si Yan Tuo détestait ce collier, il l'avait accepté afin de pouvoir rester librement à la maison sans avoir à se rendre à l'académie militaire. Comme ça, chaque fois que Shi Jian partait en cours, il pouvait utiliser l'ordinateur pour se renseigner sur ce qu'il voulait savoir.
Le problème, c'était que même après trois ans, il ne savait toujours pas pourquoi il était devenu un chat et comment redevenir normal. Les informations sur le prince Yan Tuo semblaient soigneusement dissimulées. Tout ce qu'il put découvrir, ce fut que le prince participait au développement local de la galaxie de Tianhe qui avait fait des progrès considérables en matière d'économie, de politique et de culture.
Ce qu'ignorait Yan Tuo, c'était que Shi Jian n'aurait certainement pas eu l'esprit tranquille en le laissant seul à la maison alors il avait fait installer des caméras de surveillance chez lui. Quand il était en cours, il avait son propre moniteur pour surveiller ce que faisait son chat à la maison et il pouvait ainsi toujours voir son petit bébé tourner curieusement ou anxieusement autour de l'ordinateur.
On pouvait se connecter et contrôler un ordinateur avec son esprit. Shi Jian ne pouvait donc pas voir ce que faisait vraiment Yan Tuo. Il se disait que Yan Tuo devait être curieux à propos de cette chose parce qu'il voyait tout le temps Shi Jian s'en servir quand il était à la maison. Shi Jian ressentit une pointe de regret à l'idée que la technologie actuelle ne permettait pas aux animaux d'utiliser un ordinateur sinon il aurait téléchargé de nombreux jeux de pêche pour chats afin de jouer avec son bébé.
Avec le temps, l'anxiété initiale de Yan Tuo se mit à décroître et il finit par se calmer. D'un côté il ne cessait de chercher un moyen de redevenir lui-même. De l'autre Shi Jian ne resterait pas oisif toute sa vie. Tant que Yan Tuo restait avec lui, il aurait un jour l'occasion de retourner dans l'Empire pour revoir son père ; il était également possible que certaines personnes rencontrées par Shi Jian puissent percevoir son étrange condition et l'aider à retrouver son corps d'origine.
À présent que Shi Jian allait accepter l'invitation de la Fédération, Yan Tuo était encore plus serein — bien que certains détails avaient changé, l'histoire en gros suivait toujours le cours établi.
Il avait un peu grandi en trois ans : il faisait à présent la taille de deux paumes mais restait une petite boule toute blanche quand il se roulait en boule. Shi Jian avait consulté des spécialistes qui lui avait dit qu'à cause de la race de Yan Tuo, il atteindrait cette taille tout au plus et ne grandirait plus ensuite.
Comme il avait toujours été dorloté par Shi Jian, il était tout doux et tendre. Il n'avait quasiment aucune des capacités qu'un chaton de sa taille était censé avoir. Il courait parfois dans le jardin sauf qu'après un moment il commençait à s'ennuyer alors il aiguisait ses griffes, revenait en arrière d'un air dépité puis demandait à l'homme de le porter afin de lui tapoter le bras.
Shi Jian lui répétait sans cesse qu'il était trop douillet, petit et se comportait toujours comme un bébé chat alors personne ne l'aimerait jamais. Malgré cela, Shi Jian ne pouvait s'empêcher de le dorloter honteusement. Alors Yan Tuo fit la sourde oreille et persista dans sa manière d'agir. C'était Shi Jian qui le lavait. Après avoir joué, c'était encore Shi Jian qui lui nettoyait les griffes. Tous les soirs, c'était Shi Jian qui le mettait au lit pour qu'il s'endorme.
Ce qui plaisait encore plus à Yan Tuo, c'était que la nourriture que Shi Jian lui procurait s'améliorait de plus en plus. Ces derniers temps, elle était presque au même niveau que ce qu'il mangeait dans sa vie précédente. Boney ne pouvait masquer sa stupéfaction quand il voyait ce que mangeait ce chat : il se disait que ce chat mangeait bien mieux que la plupart des gens.
Une fois Boney parti, Shi Jian se leva avec Yan Tuo dans les bras et demanda :
« Tu veux aller dormir ou tu veux sortir profiter du soleil ? »
Yan Tuo saisit les épaules de l'homme et miaula deux fois en direction du jardin.
Shi Jian le porta volontiers. Quand ils arrivèrent dans le jardin et qu'il voulut poser le chat par terre, le chaton miaula et planta ses griffes dans son bras.
Shi Jian comprit aussitôt ce que voulait le petit gars alors il se résigna à garder le chat dans ses bras et à se promener dans le jardin. Yan Tuo se roula dans les bras de Shi Jian, s'imprégna de la lumière du soleil, regarda les fleurs et les plantes du jardin. De temps en temps il se tortillait dans les bras de Shi Jian pour trouver une position plus confortable. Après un moment, il finit par fermer les yeux.
Shi Jian finit par se rendre compte que le petit être ne bougeait plus dans ses bras. Il baissa la tête et caressa la douce fourrure sur la petite tête. Il découvrit que le petit gars s'était endormi. Il sourit avec indulgence puis ramena le chat dans leur chambre.
C'était tout le temps pareil : quand arrivait l'heure de dormir pour le petit être, Shi Jian lui demandait s'il voulait aller au lit. Si le chaton ne voulait pas dormir, il lui demandait de l'emmener dehors pour jouer sauf qu'une fois dehors, Shi Jian n'avait le temps que de faire deux pas avant que le petit gars ne s'endorme. Vraiment têtu et dominateur, comme un petit empereur.
« À part moi, qui te gâterait comme ça ? »
Shi Jian recouvrit le chaton de sa couverture et menaça doucement le petit endormi. Il eut pour seule réponse un doux petit sifflement.
Il ne put s'empêcher de tendre la main pour gratter le menton du chat. Il se pencha pour embrasser la petite oreille de la boule de poils blanche et il céda :
« Laisse tomber, même si tu es une calamité, je continuerai à te gâter comme ça. »
Alors ne me quitte pas, ne t'enfuis pas, ne trouve pas un autre foyer et ne te fais pas recueillir par quelqu'un d'autre.
Quand il voulut retirer sa main du menton du chat, ce dernier attrapa inconsciemment le criminel. Dans son sommeil, il tendit deux griffes pour saisir les doigts de l'homme et retint sa main.
Shi Jian aurait pu facilement se libérer en tirant un peu mais il laissa le petit gars le tenir fermement. Il caressa les poils courts du petit être de l'autre main et murmura :
« Si je te perdais, je serai très inquiet. Après tout tu n'as jamais vraiment vécu comme un chat depuis ta naissance. »
L'autre avait toujours vécu une vie confortable où il n'avait qu'à tendre les mains pour qu'on l'habille et ouvrir la bouche pour qu'on le nourrisse. Il avait beau être un mâle, il était comme la petite princesse d'un conte de fée. Sans Shi Jian il souffrirait énormément, il serait perdu et ne saurait plus quoi faire. Il ne trouverait peut-être même pas de quoi manger et resterait simplement là à miauler et attendre que Shi Jian vienne à son secours.
Il risquait aussi de se faire recueillir par des gens mal intentionnés ou incapables de lui procurer une vie du même niveau que sa vie actuelle et qui lui donneraient seulement des restes à manger. Il risquait aussi de vivre tout seul dans les rues un certain temps et de se faire martyriser par les autres gens ou animaux. Il était si doux qu'il ne pouvait pas courir ou se défendre et pouvait uniquement miauler d'innocence et d'injustice...
Shi Jian se sentit paniqué à cette idée. Il avait l'impression que son chaton était vraiment si petit et qu'il ne pouvait pas du tout vivre sans lui. Alors il devait bien le protéger.
« Alors ne t'enfuis pas, ne me quitte pas, murmura l'homme à la petite boule de poils sur son lit. Que ferais-tu sans moi ? Et moi, je serais mort d'inquiétude. »
Plus il y songeait, plus il se sentait inquiet. Du coup il décida d'ajouter un localisateur au collier spécial de son chat. Comme ça, même si le petit gars se perdait un jour, il pourrait le retrouver et le récupérer à temps. En fait ce serait mieux d'implanter une puce dans le corps du chat mais il savait que son bébé était très douillet et avait peur de la douleur. D'habitude quand il courait dans le jardin, il finissait avec du sable et des petits cailloux dans ses coussinets. Il restait alors sur place et l'appelait d'un ton plaintif jusqu'à ce que Shi Jian le prenne dans ses bras. Du coup, sauf en cas de maladie, Shi Jian ne voulait pas que son chat subisse une opération mineure.
Le chaton sur le lit gémit deux fois, rêvant de je-ne-sais-quoi, et serra plus fort les doigts de l'homme.
Notes de Karura : Je ne sais pas si vous vous rappelez du premier arc où le prince Béphélius était si fainéant qu'il refusait de marcher chez lui et Vanain devait alors le porter tout le temps. Bon, Yan Tuo a vraiment toujours été un chat dans l'âme !
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